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Si M. le directeur de l’Opéra-Comique était convaincu, comme nous le sommes, que la musique dramatique est dans un état déplorable, et qu’il n’y a pas un compositeur en renom, excepté M. Auber, dont on puisse espérer une œuvre intéressante, il ferait un retour vers le passé et puiserait dans le riche répertoire dont il a le dépôt une de ces bonnes et naïves chansons de nos pères qui lui ont déjà valu de si copieuses recettes. Par exemple pourquoi ne reprendrait-on pas le Roi et le Fermier, ou bien Félix, de Monsigny ? Il y a plus de musique dans ces deux opérettes du père de l’opéra-comique que dans vingt partitions contemporaines.

Les nouveautés deviennent à l’Opéra de plus en plus rares, et le temps se passe dans un ennui solennel. On a donné jusqu’à satiété les Vêpres siciliennes, dont la musique a fait si peu de progrès dans les goûts du public, qu’on peut craindre que cet ouvrage laborieux ne reste pas au répertoire. Les Italiens eux-mêmes ne trouvent pas dans les Vêpres siciliennes le Verdi fougueux qu’ils aiment tant, et le public français a de la peine à reconnaître dans ce style entortillé et bâtard la touche vigoureuse des maîtres qui ont la puissance de l’émouvoir. Il est arrivé à M. Verdi, dans cette circonstance, ce qui arrive à tous les artistes qui n’ont pas de génie, et dont l’éducation première laisse beaucoup à désirer : il a voulu modifier sa manière, et il n’est parvenu qu’à entraver la spontanéité de ses idées. Méhul, dont l’instinct musical était bien supérieur à celui du compositeur italien, a éprouvé le même sort à la fin de sa carrière, il a essayé vainement de se donner une science tardive dont il ne possédait pas les élémens, et il a gâté le style que lui avait donné la nature sans pouvoir acquérir celui qu’il ambitionnait. C’est dans les arts surtout qu’il est vrai de dire : il tempo non fa salti. Il n’appartient qu’à des êtres prédestinés de pouvoir écrire tour à tour le Mariage de Figaro et Don Juan, le Barbier de Séville et Guillaume Tell.

Cependant l’Opéra vient de nous donner un ouvrage en deux actes sous le titre scabreux de Pantagruel, et dont la première représentation a eu lieu le 25 décembre. Nous n’avons pas besoin de dire quel en est le sujet et à quelle source historique il a été puisé. N’est-ce pas une grande témérité que de toucher à l’œuvre étrange de ce grand bouffon du XVIe siècle qu’on appelle Rabelais, et de ne lui emprunter que les grimaces sous lesquelles il cachait le sérieux d’un grand esprit et le style d’un admirable écrivain ? La vraie gaieté, a dit quelque part Sénèque, est une chose très sérieuse (verum gaudium, res severa). Ce n’est pas ce qui ressort tout à fait de la pièce de M. Henri Trianon, dont l’imbroglio pourrait être plus amusant et moins vulgaire, surtout pour la scène de l’Opéra, où l’on peut admettre le comique, mais non pas le bouffon. La musique, de la composition de M. Théodore Labarre, n’est pas suffisante à racheter les défauts du poème. Nous y avons remarqué au premier acte un duo fort bien dialogué, pour ténor et baryton, entre Jean Jeudy, le cabaretier, et Dindenault ; un chœur d’écoliers fort original :


Chantons, chantons, amis,
Le gai falerae !


et l’air de Panurge pour voix de basse, qui est détaillé avec finesse, et dont l’accompagnement renferme de jolis détails d’instrumentation. Malheureusement