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et surtout plus durable. C’est qu’il lui manque l’originalité, ce degré de vitalité qui condense les rayons épars et fait excuser les plus grands défauts. M. Gevaërt, qui est Flamand, aurait-il, comme la plupart des peintres et des artistes de son pays, plus de talent que d’invention, plus de dextérité de main que de véritable émotion ? Heureusement M. Gevaërt est encore jeune, et les deux ou trois opéras qu’il a composés à Paris peuvent n’être que les préludes d’une personnalité qui se cherche et se dégage. Nous le souhaitons vivement, car il serait pénible qu’un musicien aussi distingué vînt augmenter le nombre de ces pâles ombres qui n’ont pas plus de place marquée dans ce monde que dans l’autre. Nous regrettons aussi d’être obligé d’avouer que Mme Lauters, qui chante le rôle de Margarita, et qui possède une des plus belles voix de mezzo-soprano qu’on puisse entendre, n’ait pas fait un pas en avant depuis ses débuts, que nous avons encouragés comme il nous arrive rarement de le faire. Elle est restée ce que la nature l’a faite, une bonne Flamande qui parait contente de son sort. Honni soit qui mal y pense !

On a eu l’idée bonne ou mauvaise de reprendre au Théâtre-Lyrique l’opéra antique et solennel du Solitaire, qui remonte à l’an de grâce 1822. Ce que c’est pourtant que de nous et de la vogue populaire ! Qui se douterait aujourd’hui, si l’histoire ne l’attestait, que M. d’Arlincourt et son fameux roman du Solitaire ont eu, l’un portant l’autre, les honneurs du triomphe populaire ? Les magasins, les modes du jour, tout ce qui brille et vit l’espace d’un matin était à la Solitaire et en portait les couleurs. La musique ne pouvant résister à cet entraînement général, M. Carafa composa un opéra en trois actes sur des paroles de M. Planard, et qui fut représenté au mois d’août 1822 avec un immense succès. Les journaux ont accueilli l’apparition de cette vieille et agréable connaissance avec une mauvaise grâce qui nous a un peu surpris. Ne dirait-on pas, à les voir juger avec si peu de ménagement un opéra qui a eu plus de cent représentations, qu’ils ont le droit de se montrer difficiles ! Ah ! si M. Carafa écrivait des feuilletons comme M. Berlioz ou comme M. Adam, MM. les critiques ordinaires de la presse parisienne n’auraient pas assez d’éloges pour l’auteur de Masaniello, qui n’est pas si à dédaigner qu’ils veulent bien le dire. M. Carafa, qui a commencé à écrire de très bonne heure, est évidemment un imitateur de Rossini, et doit être classé parmi les nébuleuses de l’astre de Pesaro ; mais si M. Carafa n’est pas toujours original dans le choix de ses idées, s’il a apporté dans l’art si difficile de la composition un peu trop le sans-façon d’un homme du monde qui était destiné à une tout autre carrière, il n’est pas moins juste de reconnaître que l’auteur du Solitaire, de Masaniello, de la Violette, du Valet de Chambre, de la Prison d’Edimbourg, et de vingt opéras italiens, est un compositeur bien doué, qui a souvent des mélodies heureuses, qu’il sait rendre dans une forme claire, chaleureuse et populaire. Après tout, il y a plus de musique réelle dans les ouvrages de M. Carafa que dans le pathos instrumental de M. Berlioz et dans les opérettes de M. Adam.

Le Théâtre-Italien poursuit assez heureusement le cours de ses représentations. La troupe que la nouvelle administration est parvenue à réunir est l’une des meilleures et des plus complètes que nous ayons possédées à Paris