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compositeurs qui se sont fait un nom à ce théâtre, il est juste de citer en première ligne M. Gevaërt,l’auteur des Lavandières de Santarem. Les paroles de cet opéra en trois actes n’ont pas précisément le mérite de l’élégance ni celui de l’intérêt. Il s’agit d’un roi quelconque de Portugal qui s’éprend d’une passion furieuse pour une belle lavandière de son royaume. Ce qu’il importe de savoir, c’est que la morale de la pièce est de la plus pure essence, et que la musique qui l’accompagne ne lui est pas trop inférieure. L’ouverture annonce assez bien ce que sera la partition : composée de quelques motifs empruntés à différens morceaux de l’ouvrage, elle manque de caractère et semble avoir été écrite trop à la hâte, sans que l’auteur ait eu le temps de travailler son instrumentation, qui est suffisante, mais nullement remarquable. La romance que chante tout d’abord la belle lavandière Margarita n’est qu’un lieu-commun mélodique qui fait ressortir d’autant mieux les couplets en duo pour deux voix de femmes qui suivent, et dont la conclusion en majeur est fort élégante. La romance pour voix de mezzo-soprano, Je suis heureuse, où Margarita exprime la satisfaction qu’éprouve son âme d’appartenir bientôt au sergent Manoël, est fort bien venue et délicatement accompagnée. La rentrée de l’idée principale est opérée avec adresse et produirait un excellent effet sans le point d’orgue de la fin, concession de mauvais goût faite aux oreilles gauloises du parterre. Un trio bouffe habilement dialogué pour la scène, l’ensemble du duo entre Margarita et Manoël qui est charmant, les couplets qui s’y trouvent encadrés, A la cour, dont la mélodie pourrait être d’un accent plus simple, la reprise du duo et le chœur final du régiment de Santarem qui avait déjà servi d’introduction, ce sont là les différens morceaux qu’on remarque au premier acte. Le second, qui est moins riche, commence par un air que chante Margarita : Le bonheur que j’ai perdu, où il semble vraiment que pour une simple lavandière elle vise un peu trop au style pathétique. Mme Lauters ajoute encore à ce défaut par l’exagération de sa pantomime et de ses portamenti ou élans de voix que nous lui avons reprochés dès ses débuts, et dont elle n’est point parvenue à se corriger Mme Lauters manquerait-elle, comme Mlle Cruvelli, d’intelligence ou de docilité ? Ce serait grand dommage. Un trio au milieu duquel se détache une phrase charmante : Voilà ce que je dirais au roi, que Mme Lauters dit avec dignité, la strette vigoureuse qui en est la conclusion ; les couplets de l’aubergiste : Je suis capitaine, finement instrumentés, un quatuor rempli d’épisodes habilement déduits, sont les parties saillantes du second acte. Au troisième on peut encore signaler une jolie prière en quatuor et quelques détails du duo entre Manoël et Margarita.

Certes la partition que nous venons d’analyser rapidement n’est pas l’œuvre d’un artiste : ordinaire. On y sent partout la main d’un musicien exercé, qui a le sentiment de la scène, et qui sait donner à ses idées une forme ingénieuse et souvent distinguée. Son style est assez varié, rempli de détails piquans, de modulations incidentes, qu’on voudrait parfois moins nombreuses et plus développées. L’instrumentation en est claire, nourrie et colorée sans excès. Toutefois, après avoir reconnu et signalé avec plaisir les qualités peu communes qui distinguent le talent de M. Gevaërt, on se demande pourquoi sa musique ne produit pas sur le public un effet plus saisissant