Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brisées sautent en l’air. Dans le combat décrit par l’ancien serviteur du roi Nussir, Malleer fut le vainqueur. Son adversaire, reculant toujours devant lui, se trouva acculé au Goomty et se jeta dans le fleuve. Malleer voulut l’y suivre ; résistance de la part du mahout. Malleer s’obstine, le mahout redouble d’efforts pour modérer son ardeur. Malleer, perdant patience, dans ses mouvemens de fureur renverse son mahout, qui, tombant du haut de cette tour vivante, se blesse et gît à terre sans pouvoir se relever. L’éléphant furieux leva alors sa patte énorme, la posa sur la poitrine de l’homme, et broya sa charpente osseuse avec tant de force, qu’on entendit le craquement des os sur l’autre rive du fleuve ; il enroula sa trompe autour d’un des bras du cadavre, l’arracha et le lança en l’air. Les spectateurs, pétrifiés d’horreur, contemplaient cette scène sans oser pousser un cri, et au moment où l’épouvante était à son comble, un nouvel incident vint encore augmenter l’émotion. On vit une femme, qui portait un enfant dans ses bras, courir en toute hâte vers l’éléphant. C’était la femme du mahout. — Oh ! Malleer ! Malleer ! bête cruelle ! vois ce que tu as fait. Voilà notre maison finie. Tu as enlevé le toit, maintenant brise les murs ; tu as tué mon mari que j’aimais tant, tue-moi maintenant, ainsi que son fils. — Vous croyez peut-être que Malleer se mit à rugir et à menacer ? Non, Malleer était un héros : comme tous les héros, il avait ses momens de fureur pendant lesquels il était dangereux de l’approcher ; mais il avait l’âme magnanime et le cœur chevaleresque. Sa fureur se dissipa en écoutant les reproches de la femme du mahout. Il retira son pied, qui pesait sur le cadavre ; tête basse, il contempla la douleur de la pauvre femme, écouta patiemment ses reproches et y répondit par les regards pleins de tristesse et de repentir qu’il lui jeta. Pendant ce temps, le petit enfant du mahout jouait entre les jambes du colosse et badinait avec sa redoutable trompe.

L’accès de colère de Malleer semblait passé. Les cavaliers armés de lances, qui sont chargés de piquer l’éléphant pour le faire sortir de l’arène, pensèrent, voyant le héros plongé dans la douleur, que le moment était venu où, sans danger pour leur vie, ils pouvaient accomplir leur tâche ; ils se trompaient. Malleer se retourna, secoua les oreilles et grogna comme pour leur dire : J’ai commis une mauvaise action et j’en suis fâché ; mais ce n’est pas à vous que je dois des comptes, c’est à cette pauvre femme et à ce faible enfant. Quant à vous, décampez si vous ne voulez pas qu’il vous arrive malheur. Ils ne tinrent compte de cette éloquence muette et voulurent le piquer. Malleer furieux se retourne, mugit, lève sa trompe, prend sa course, et chevaux et cavaliers fuient éperdus devant lui. Il allait faire quelque nouvelle victime, lorsque le roi eut un éclair de sagesse : « Que