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le plus intéressant du livre, le seul qui ait des affections naturelles et quelque chose d’humain. Elle avait réussi contre Ghazi-u-deen, elle ne devait pas réussir contre le fils ingrat qu’elle avait sauvé de la disgrâce et peut-être de la mort. Après le départ de sa mère, Nussir fit publiquement proclamer son fils illégitime. Une fois stigmatisé ainsi, l’enfant ne pouvait plus hériter de la couronne. Cependant, après l’empoisonnement de Nussir, la begum fit encore une tentative, cette fois réellement héroïque, car elle ne craignit pas d’entrer en lutte avec le formidable pouvoir de l’Angleterre. Elle fit entourer de troupes le palais où habitait le résident anglais qui refusait de reconnaître le jeune prince ; mais les troupes de la compagnie des Indes arrivèrent à leur tour, quelques coups de fusil furent échangés, et le roi de la compagnie, un oncle de Nussir, monta sur le trône.

Si Nussir traitait ainsi sa mère et son fils, il n’y a point lieu d’être étonné qu’il se portât aux derniers outrages envers les autres membres de sa famille. Famille ! quel est ce mot-là ? Dans le pays d’Oude, le roi seul est tout ; ses parens les plus proches ne participent en rien à sa grandeur, et ont moins d’importance qu’un eunuque favori ou une danseuse qui a captivé pour une semaine les sens très susceptibles du roi. S’ils ont encouru la colère du souverain, le dernier esclave du palais a le droit de les bafouer sans pitié, et cela avec la plus complète impunité. C’est là la façon dont le despotisme rétablit l’égalité. Tous sont égaux devant la violence et la cruauté du monarque, aussi bien un prince royal qu’un mendiant. D’ailleurs les victimes sont peu intéressantes : si elles sont tyrannisées, elles n’attendent que le moment de tyranniser à leur tour, et elles infligeraient, si elles en avaient le pouvoir, les mêmes outrages qu’elles ont à subir. Nussir avait plusieurs oncles vieux et infirmes qu’il se plaisait à insulter et à fouler aux pieds ; mais ces oncles avaient comploté jadis sa perte de concert avec son père, et ils finirent par le faire empoisonner. Ils ne valaient probablement pas mieux que leur neveu, et la seule raison qui semblait militer en leur faveur était leur vieillesse et leurs infirmités. Quoi qu’il en soit, ils étaient une grande ressource pour Nussir : quand ses danseuses ou ses jeux de marionnettes l’ennuyaient par trop, quand il ne trouvait plus aucun plaisir dans les combats de bêtes fauves, qu’il ne lui était tombé depuis longtemps sous la main personne à faire décapiter, quand il sentait qu’il avait besoin d’un dérivatif puissant pour secouer sa torpeur que n’éveillaient plus les jouissances physiques, la cuisine indienne et le vin de l’Europe, alors il invitait à dîner un de ses oncles, et les habitués de la table royale étaient sûrs qu’ils allaient avoir un spectacle exceptionnel. Les plaisanteries qu’on faisait supporter aux princes étaient très variées, grâce au génie inventif du barbier du roi, Anglais de basse extrac-