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passe la petite scène que voici ? « La lumière du soleil a brillé sur l’esclave de monseigneur, et le pauvre esclave sera nourri, vous dit un impudent et vigoureux gaillard armé d’une forte moustache, un sabre et un bouclier au poing, en vous tendant la main. — Vous êtes, vous dit-il, la lumière du soleil, — et ce compliment vaut bien, à son avis, le salaire d’une journée de travail. Vous vous détournez de dégoût, et alors, aussi tranquillement qu’il vous avait débité ses complimens, il vous fait part de son opinion sur les membres féminins de votre famille (particulièrement votre mère et vos sœurs) dans un langage trop nu et trop énergique pour souffrir la traduction, et plutôt hardi et expressif qu’élégant. » Les citoyens armés et les mendians forment le plus intéressant spectacle de Lucknow, et partagent l’attention et l’étonnement du voyageur avec les chameaux et les éléphans, qui se promènent dans la ville aussi communément que les mulets en Espagne, les ânes et les bœufs dans nos villages, les chevaux dans nos rues.

Lorsque notre aventurier se présenta à la cour de Lucknow, le roi régnant était Nussir-u-deen, un des deux fils du premier souverain élevé au trône par la compagnie. Ce n’était point sans difficultés qu’il avait succédé à son père Ghazi-u-deen, qui l’avait déshérité et avait formé, paraît-il, le dessein de le tuer plutôt que de lui laisser la chance de monter sur le trône. Il devait son élévation à l’énergie de sa mère, la padskah begum (sultane favorite). Elle arma les femmes de son harem et, après un combat sanglant dans l’intérieur du palais, elle réussit à déjouer les projets du roi grâce à sa bravoure et aussi à l’intervention du résident anglais. Nussir-u-deen devint donc roi, et son premier acte fut de suivre les traces de son père : bon sang ne peut mentir. De même que son père avait voulu le déshériter, Nussir voulut déshériter son fils. La mère disputa son petit-fils à cette bête fauve et le prit sous sa protection. L’ingrat Nussir, oublieux du passé, ordonna à sa mère de quitter le palais ; elle refusa. Le roi envoya contre elle ses femmes-cipayes (garde d’amazones qui habite le palais du roi), et un nouveau combat s’engagea dans lequel quinze ou seize femmes de la padshak begum furent tuées. Le résident anglais intervint de nouveau. Le roi promit au colonel Lowe (c’était le nom du résident) de ne point tourmenter sa mère ni de toucher à son fils, si elle consentait à se retirer à un palais qu’il indiqua. « Le résident se porta garant de la vie de l’enfant, et la begum partit contente. Elle eut plus de confiance dans la parole d’un gentleman anglais qu’elle n’en aurait en dans les sermens les plus solennels du roi et de tous ses ministres. En vérité, ce n’est pas en Europe que l’on découvre la grandeur de l’Angleterre et la puissance magique que renferme le nom d’Anglais. » Cette brave et courageuse mère de Nussir est le personnage