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né en Grèce et transporté violemment sur un sol étranger, sera comme une plante enlevée à sa terre natale, il ne produira que des rameaux sans vigueur et des fleurs sans parfum. Du reste les Romains de l’empire restèrent ce qu’avaient été les Romains de la république, des conquérans se contentant d’un art étranger et ne le considérant toujours que comme un accessoire du luxe et de la gloire :

Tu regere imperio populos, Romane, memento ;
Hæ tibi erunt artes…..

Malheureusement, malgré le nombre considérable des statues de bronze qui peuplaient les temples, les gymnases, les cirques, les palais, les places publiques et tous les édifices de la Grèce et de Rome, ces statues sont aujourd’hui les plus rares de tous les monumens antiques. Pline en mentionne un grand nombre, qu’il cite comme les chefs-d’œuvre des plus grands artistes grecs, et cependant, même à Rome, on n’en a retrouvé que de rares fragmens. Cela tient d’abord à ce que les Barbares, attachant une grande valeur aux métaux, s’emparèrent des statues de bronze, qu’ils fondirent et transformèrent en armes. Puis, en 663, l’empereur d’Orient Constant II, petit-fils d’Héraclius, acheva l’œuvre des Barbares : il dépouilla la ville éternelle de presque tous les bronzes antiques qui avaient échappé aux désastres de tant d’invasions, et les fit transporter à Syracuse, où ils devinrent la proie des Sarrasins. Enfin les plus beaux bronzes, qui avaient émigré dans la capitale de l’empire d’Orient, furent également détruits au XIIIe siècle, lors de la prise de Constantinople par Baudouin. C’est alors qu’on vit fondre et convertir en monnaie la Junon de Samos, le chef-d’œuvre de Lysippe, l’Hercule colossal, la statue d’Hélène, et tant d’autres monumens remarquables.

On n’aurait donc presque aucune idée de cet art dans l’antiquité, si le Vésuve n’avait englouti sous des monceaux de lave ou de cendre les villes d’Herculanum, de Stabies et de Pompéi l’an 79 de Jésus-Christ. Pendant dix-sept cents ans, le temps et les hommes n’ont eu nul accès, nulle prise, sur ces villes perdues ; seules parmi les cités antiques, elles ont été préservées du pillage ; elles n’ont pas vu le triste spectacle des invasions. Là du moins la mort et le deuil ont été respectés ou plutôt oubliés, et ce n’est que dans les premières années du XVIIIe siècle, en 1715, qu’on a songé à les tirer de leur léthargie séculaire. Les fouilles ne furent même régulièrement entreprises qu’en 1750, sous le règne de Charles III, et bientôt la plupart des mystères de l’antique civilisation furent expliqués par l’évidence des faits. Tous les trésors enlevés aux villes d’Herculanum, de Stabies et de Pompéi font aujourd’hui partie du musée royal de Naples, le plus riche du monde en monumens de l’antiquité. La collection des bronzes est surtout admirable, et l’on est saisi d’une émotion