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cordées à l’aide de pièces additionnelles. La plupart de ces statues sont d’un poids infiniment trop considérable. La matière n’était pas ménagée, et ne comptait, pour ainsi dire, pas à côté de la main-d’œuvre. Les bronzes de ces époques sortaient généralement informes de leurs moules, et avaient besoin d’être travaillés par les artistes eux-mêmes. Ciselés ainsi de la main du maître, ils acquéraient une très grande valeur d’art, puisque le sentiment et la vie leur étaient définitivement donnés par l’artiste ; mais le prix devenait excessif, et l’usage d’autant plus restreint. C’est ce qui fait la valeur des bronzes florentins. Les chefs-d’œuvre du Baptistère, les merveilles de Ghiberti, de Donato, de Cellini, sont des pièces véritablement ciselées, portant l’empreinte divine du génie créateur, de ces grands maîtres ; de là leur charme et leur beauté. Les bronzes des Keller eux-mêmes, les plus habiles fondeurs des temps modernes, sont tous retouchés, refouillés, ciselés par une main savante, par la main de l’artiste lui-même ; il suffit de les examiner attentivement pour s’en convaincre. Mais aussi les portes de Ghiberti pèsent 34,000 livres, et coûtèrent 22,000 florins, ce qui représenterait aujourd’hui une somme énorme ; de plus, la seigneurie de Florence donna à Lorenzo un domaine considérable non loin de l’abbaye de Settimo. François Ier ne comptait pas avec Benvenuto, non plus que Louis XIV avec les Keller. — Aujourd’hui les temps sont moins favorables aux arts, et une statue de bronze se paie à raison de 5 ou 6 francs le kilogramme. Les portes de la Madeleine ont été fondues pour 110,000 fr. par MM. Eck et Durand, et elles sont un chef-d’œuvre industriel. Le gouvernement de la restauration payait encore 200,000 francs la statue équestre de Louis XIV, qu’il faisait ériger à Lyon, tandis qu’en 1853 MM. Eck et Durand ont fondu pour la même ville celle de Napoléon Ier avec ses quatre bas-reliefs pour 61,000 francs.

Les conditions actuelles de la fonte des bronzes sont donc toutes nouvelles et sans précédens. Autrefois la question d’art primait la question industrielle ; on ne regardait ni à la quantité de matière employée, ni à la main-d’œuvre, ni au temps nécessaire pour produire quelque chose de parfait : les grandes statues de bronze étaient fondues pour les souverains et les villes, et les petites pour un certain nombre d’amateurs capables de les payer comme œuvres d’art. Un nouvel ordre de choses a créé pour cette industrie des obligations nouvelles. La question industrielle, la question du bon marché est presque tout, il faut produire beaucoup, promptement et à bas prix, c’est-à-dire qu’il faut économiser, trop souvent même altérer la matière, et, par des procédés nouveaux de moulage, arriver à fabriquer des bronzes qui, une fois sortis du moule et débarrassés des jets et des évents, se présentent avec leur perfection définitive, tels enfin qu’ils doivent être livrés au commerce. — Ainsi ce travail si patient de l’artiste, qui