Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commencement de ce siècle. La colonne fut fondue avec les canons conquis à Austerlitz : ces pièces contenaient environ 10 parties d’étain sur 90 de cuivre. Eh bien ! des échantillons pris aux diverses hauteurs de ce monument, depuis la base jusqu’au chapiteau, ont donné à l’analyse chimique des proportions de cuivre d’autant plus fortes qu’on s’élevait davantage. Les parties inférieures, coulées les premières, ne contenaient déjà plus que 6 parties d’étain au lieu de 10, puis on en trouvait 2 seulement ; enfin le chapiteau contenait 99,79 de cuivre, c’est-à-dire qu’il n’y avait presque plus trace d’étain. Cela venait évidemment de l’inhabileté du fondeur, qui n’avait pas su prévenir l’oxydation de l’étain pendant la fusion du bronze. Or, à mesure que la proportion d’étain diminuait, l’alliage devenait moins fusible et le moulage de plus en plus défectueux. On plaça ces dernières pièces dans les parties les plus élevées de la colonne, afin d’en dissimuler les fautes. Les bas-reliefs de cet édifice étaient si mal venus, que les artistes chargés de les finir, ou plutôt de les exécuter complètement, purent en enlever 70,000 kilogrammes de bronze, qu’on leur abandonna comme gratification.

Un autre phénomène, remarquablement lié aux propriétés les plus importantes du bronze, dépend du partage qui s’établit par le refroidissement dans la masse de cet alliage. En effet une portion du cuivre et de l’étain forme d’abord un alliage qui se solidifie, tandis qu’une autre portion de ces deux métaux constitue un second alliage, qui reste liquide encore pendant quelque temps. Dès que le refroidissement commence, l’alliage le moins fusible cristallise, et la masse prend du retrait ; alors l’alliage liquide, pressé par la colonne métallique, s’écoule dans l’espace vide qui s’est formé à la circonférence et dans le haut du moule. De là un partage qui s’établit de telle sorte qu’au centre de la masse se trouve l’alliage le plus riche en cuivre, tandis qu’à la périphérie vient se placer celui qui contient le maximum d’étain. Ce phénomène a reçu le nom de liquation. C’est qu’un alliage n’est pas une combinaison chimique, mais une dissolution d’un métal dans un autre. Tant que l’alliage est liquide, il est homogène ; mais il y a dans sa masse un mélange de plusieurs alliages doués de points de fusion différens et pouvant se solidifier les uns après les autres. Cela nous montre qu’il est impossible d’obtenir de grandes pièces d’une composition bien homogène, et qu’il y a toujours intérêt à fractionner le plus possible la fonte d’un monument. C’est à ce phénomène de liquation qu’il faut attribuer la quantité innombrable de petits trous que l’on remarque à la surface de la plupart des bronzes anciens. La partie de l’alliage la plus riche en étain étant venue se déposer à la surface, elle est facilement oxydée et détruite sous la double influence de l’air et de l’humidité. De là cet aspect poreux qu’ont une grande quantité de bronzes antiques.