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une clause qui limitait la durée du service, innovation qui nous semble bien simple, mais qui pouvait faire préjuger une réorganisation future de l’armée anglaise, en effaçant quelque chose de ce caractère de servitude militaire qu’elle n’a pas perdu tout à fait encore. Enfin il est un autre esclavage, celui-là odieux et détestable, auquel Fox eut la joie de porter un coup fatal. Le 10 juin 1806, la chambre, qui ne savait pas qu’elle l’écoutait pour la dernière fois, l’entendit demander à son pays l’abolition de la traite des noirs. Wilberforce et Canning, Francis et Romilly, William Smith, le fidèle défenseur de la liberté religieuse, lord Henry Petty, destiné à siéger dans le ministère qui devait abolir l’esclavage aux colonies, plaidèrent à l’envi la noble cause alors triomphante, et dans le monument funèbre élevé dans Westminster à la mémoire de Fox, un Africain agenouillé étend vers le lit du mourant ses bras dont les fers tombent en se brisant.

Fox avait au commencement du printemps passé à Sainte-Anne ses derniers jours heureux. Revenu à Londres, il éprouva vers la fin de mai quelque indisposition, et au milieu de juin il se sentit décidément malade. Le premier jour qu’il fut forcé de s’arrêter, il se fit lire le quatrième livre de l’Enéide. Son état parut bientôt dans toute sa gravité, et l’on reconnut les symptômes de l’hydropisie. On ne tarda pas à recourir aux opérations pénibles et vaines qui donnent au moins quelque soulagement. Dès qu’il se sentit un peu moins mal, il soupira après la campagne. Sainte-Anne étant trop éloigné, on le transporta à quelques milles de Londres, à Chiswick-House, l’élégante villa italienne du duc de Devonshire. Là il se trouva assez bien pour prendre plaisir à revoir les tableaux qui ornent la maison et pour se faire lire, avec sa chère Enéide, des fragmens de Dryden, de Swift et de Johnson ; mais bientôt les symptômes alarmans reparurent, l’angoisse devint insupportable, il fallut encore recourir à une opération qu’il supporta avec beaucoup de sérénité. Tant qu’il l’avait pu, il avait vu plusieurs de ses amis, lord Grey, qui obtint de lui amener une fois Sheridan, lord Robert Spencer, surtout lord Fitzwilliam et le général Fitzpatrick. Un jour l’un d’eux lui dit (son mal était alors moins avancé) qu’il espérait le mener à Noël à la campagne avec quelques amis, que ce changement de lieu lui serait bon, que ce serait une scène nouvelle. « Oui, répondit Fox en souriant tristement, je serai sur une scène nouvelle à Noël. » Puis, avec plus de gravité : « Mylord, que pensez-vous de l’état de l’âme après la mort ? » Et comme on ne lui répondait pas, il continua : « Qu’elle est immortelle, j’en suis convaincu. L’existence de la Divinité prouve que l’esprit existe : pourquoi donc l’âme ne subsisterait-elle pas dans une autre vie ? J’y aurais cru, quand le christianisme ne me l’aurait pas dit… Mais quelle sera cette existence,