Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’est perfectionné au plus haut degré, et il serait, si le pays était dans un état à pouvoir être sauvé, aussi propre à le sauver qu’aucun homme que j’aie jamais connu. » Une autre fois il écrit encore : « Jamais lui et moi nous n’avons été qu’un plus qu’aujourd’hui. » Or Grey comme Fox aimait l’agriculture et la campagne. Ses liens de famille le retenaient souvent loin de Londres, et l’assiduité parlementaire lui coûtait, autant qu’au possesseur de Saint-Ann’s hill. Ce dernier, beaucoup plus rapproché de la capitale, y faisait même de plus fréquens séjours. Il était donc fort intéressé à tenir au courant de toutes choses le premier lieutenant de son armée. Il lui écrivait de véritables dépêches, où tout est exposé, discuté, ses sentimens, ses vues, les ouvertures qu’il reçoit, les informations qu’on lui donne. Pendant tout l’hiver de 1803, on le voit suivre d’un œil inquiet la conduite de la France. Il est toujours convaincu que ni ce pays ni son chef ne cherche la guerre. Ils les a vus l’un et l’autre plongés dans les plans de commerce, dans les projets de régénération coloniale, témoin l’expédition de Saint-Domingue.


« Sur tous ces sujets ils ont une stupide admiration de nos systèmes de la pire espèce : traite des noirs, prohibitions, droits protecteurs. Le titre de pacificateur n’est pas de ceux auxquels Bonaparte renoncera volontiers… C’est contre sa conduite à regard des Français, bien plus que pour tout ce qu’il peut avoir fait au dehors, qu’il faut ressentir de l’indignation ; mais, avec nos principes ce n’est aucunement là un cas de guerre… Il est vrai, le langage hostile et l’attitude, pour employer un mot nouvellement inventé, des deux nations peuvent produire la guerre contre le vœu des deux gouvernemens… il est possible de l’éviter encore, on doit y tendre toujours ; mais enfin on doit la prévoir et se préparer… J’ai une forte conviction : c’est que la guerre échéant, cher Grey, vous êtes le seul, à la lettre le seul homme capable de la conduire. Toute prévention personnelle à part, je crois complètement démontré que Pitt, avec tous ses grands talens, est parfaitement impropre à cela. Il semble en effet lui-même en avoir la conscience, car en pareil cas il abandonne à d’autres toute la direction… La guerre peut amener entre les partis des alliances importantes ; il faut la soutenir d’une manière ou d’une autre avec plus ou moins de sévérité pour l’administration, avec plus ou moins d’entente avec les Grenville… Quant aux hommes, la sottise et le vide d’Addington sont mon aversion. Je n’ai pas de goût pour les Grenville ou les Canning ; mais les uns et les autres ont sur la conduite d’un parti des notions qui ne diffèrent pas des miennes… N’imaginez pas que j’aie en ce moment, par une jonction quelconque, la vue de former un gouvernement dont vous, encore moins moi, puissions être membres ; mais s’il y a guerre, les craintes qui proviennent de l’imbécillité des hommes actuels seront très grandes et peuvent amener de nouvelles scènes. Et si nos reliquiœ pouvaient être réunies, quand il n’y aurait que les Russell et les Cavendish et quelques-uns encore avec vous à leur tête, ce pourrait être une base pour quelque chose de mieux dans l’avenir. Considérez seulement quels changemens un seul événement peut produire, et dans les confusions qui peuvent