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le concours d’Erskine il espérait faire passer pour assurer à la liberté de la presse toute la protection de la procédure par jurés. « Vous êtes dans la capitale du torisme, lui écrivait-il, j’entends parler tout autrement que vous du nouveau pamphlet de Burke. On dit que c’est de la folie… Il y a un pamphlet d’un M. Mackintosh dont j’entends dire grand bien, quoiqu’on pense que, sous quelques rapports, il va trop loin (mai 1791). » Quelque temps après, il laissa partir son jeune correspondant pour le continent et ne cessa pas de lui adresser des lettres qui le peignent tout entier. Là on voit défiler toutes ces dates sinistres que nous voudrions effacer de notre histoire. « Il semble, dit-il après le 10 août, que les jacobins ont résolu de faire quelque chose d’aussi révoltant que la proclamation du duc de Brunswick ; mais, quoiqu’ils aient fait de leur mieux, ils n’ont pas réussi : la proclamation, à mon avis, reste sans rivale. » Quelques jours plus tard, ses craintes et son indignation s’accroissent. Il tremble pour la reine. L’assemblée législative lui paraît misérable. Il doute de la résistance guerrière de la France. « Et cependant, avec toutes leurs fautes et toute leur déraison, je m’intéresse à leur succès au plus haut degré. C’est une grande crise pour la cause réelle de la liberté, quoi que nous pensions des gens qui soutiennent la lutte. Je voudrais qu’ils ressemblassent à nos anciens amis les Américains, et je ne craindrais guère pour eux. » Puis le tableau devient encore plus sombre. « J’avais à peine remis mon âme des événemens du 10 août, lorsque l’horrible nouvelle du 2 septembre nous est parvenue, et réellement je regarde les horreurs de ce jour et de cette nuit comme l’événement le plus désolant qui soit jamais arrivé à ceux qui sont comme moi fondamentalement et inébranlablement attachés à la vraie cause. Il n’y a pas, dans mon opinion, une ombre d’excuse pour cet affreux massacre, pas même une possibilité de l’atténuer le moins du monde, et si l’on ne devait considérer que le peuple de Paris, on devrait presque douter à qui il faudrait » Le reste est déchiré.

Cependant quelques jours se passent, et les Prussiens ont fui du territoire français. « Non, aucun événement public, sans en excepter Saratoga et York-Town, ne m’a donné autant de joie… Les défaites des grandes armées d’invasion m’ont toujours causé la plus grande satisfaction en lisant l’histoire depuis le temps de Xerxès jusqu’à nos jours, et ce qui est arrivé en Angleterre et en France fera de ce que dit Cicéron de la force armée l’opinion du genre humain : Invidiosum, detestabile, imbecillum, caducum. » Paroles singulières, lorsqu’on songe qu’elles furent écrites au début de la plus terrible guerre, signalée par les plus vastes invasions dont le monde moderne ait été témoin.