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parut âgée d’environ quarante ans, vos excuses sont suffisantes. Je vous en prie, voyez mon frère. Pendant ce temps, moi et votre femme, nous passerons quelques heures dans un entretien délicieux, l’entretien des esprits sympathiques. Pouvez-vous comprendre cela, docteur ? Mais non, vous autres hommes, vous êtes d’une nature trop grossière. Lavinia, ma chérie, présentez le docteur à votre tuteur, et dites-lui que le souper sera prêt à huit heures précises.

— Bien, pensai-je, la bonne dame est complètement folle ; mais il n’y a rien à craindre, chère Susy, chuchottai-je à l’oreille de ma femme, qui était à demi effrayée. Restez ici avec cette dame pendant que je visiterai mon malade. Rappelez-vous ce que vous m’avez dit si souvent, chérie : quelque chose arrivera lorsque nous nous y attendrons le moins. Espérons que cette étrange aventure, si imprévue, si peu cherchée, sera le pivot de ma future fortune.

Je montai l’escalier, précédé de la jeune dame désignée sous le nom de miss Lavinia. C’était une belle jeune fille qui ne devait pas compter plus de dix-huit ans. Un air d’étrange mélancolie répandue sur toute sa personne jurait avec son âge et sa beauté ; mais elle ne dit rien et se contenta de me conduire à l’appartement de son tuteur. Elle me laissa à la porte et descendit, ou plutôt elle glissa au bas des escaliers avec la grâce et le pas silencieux d’une fée.

Je frappai doucement à la porte, et une voix, qui était celle d’un homme poli et bien élevé, m’ordonna d’entrer. Je tournai le bouton de la porte, et j’entrai doucement. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque, au lieu d’un malade couché ou étendu sur un fauteuil, je vis un vieux gentleman à la chevelure argentée, à la physionomie bienveillante, débout au milieu de la chambre, devant un grand miroir, et occupé à se savonner la figure ! Il me salua familièrement et dit : — Vous avez été bien long à venir, docteur. Je commençais à perdre patience et je me rasais déjà. Maintenant vous pouvez vous mettre à l’œuvre.

Je fus très étonné. Quoique je ne pusse distinguer les traits du vieux gentleman, cachés en partie par le savon, en partie par l’obscurité qu’une seule bougie brûlant sur la cheminée laissait régner dans l’appartement, je soupçonnai qu’il était fou aussi bien que la dame qui le nommait son frère. J’essayai de m’assurer du fait en regardant ses yeux, car un fou, un rasoir à la main, n’est pas une très agréable compagnie. Le vieillard m’adressa de nouveau la parole :

— Pourquoi ne vous mettez-vous pas à l’œuvre, docteur ? N’avez-vous pas apporté vos instrumens avec vous ?

— Je crains bien qu’il n’y ait erreur, mon cher monsieur. Je suis médecin et non pas barbier.

— Parfaitement, et cela me rappelle qu’autrefois les deux professions