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par complaisance; s’il rampe, c’est par excès d’honneur; ses vices sont des vertus dissimulées. Où s’arrêter dans ce chemin, et qui se chargera de réveiller une conscience que nous supposons exténuée depuis des siècles ?

On a vu que la plupart des peuples sont tombés irrévocablement, non par la force de leurs ennemis, mais pour s’être infatués d’idées fausses auxquelles les grands écrivains ont mis le sceau de l’immortalité. Quand ceux-ci n’ont pas eu la vertu de reconnaître à temps leurs erreurs, les peuples ont décliné avec toutes les joies de la vanité. J’ai montré qu’il a été impossible de convaincre l’Italie d’une chose qui est l’évidence même; la France embrasse sur son passé des théories non moins illusoires, et le danger est grand, si tous ceux qui tiennent une plume ne ramènent pas la vérité simple, antique, nouvelle, éternelle. Il faudrait que tout homme qui pense eût sa nuit du à août, dans laquelle il viendrait loyalement faire à la patrie le sacrifice de ses erreurs reconnues dans l’histoire,. la philosophie, la science : ce serait le début de la régénération.

Et pourquoi ne la tenterait-on pas ? Pourquoi du moins continuerions-nous cet incroyable défi à la conscience universelle ? Quelle gloire atteindrait celui qui aurait le courage de dire : « Je me suis trompé! » Un aveu si généreux serait aussi prévoyant, car il est impossible que la postérité aille jusqu’au bout sans reconnaître ce qu’il y a d’artificiel et de faux dans nos constructions métaphysiques du passé. A mesure que les choses se dérouleront, notre erreur deviendra plus manifeste. Espérons-nous la cacher à l’avenir ? En dépit de nous, il la découvrira, il la signalera, et comme nous aurons été sans pitié pour lui, il sera sans justice pour nous.

S’agit-il après tout de rejeter tant de travaux qui ont illustré notre époque ? A Dieu ne plaise ! Même en suivant un faux système, on peut rencontrer une foule de vérités de premier ordre. Dans ses recherches, l’homme a besoin de s’appuyer du témoignage d’une idée préconçue, sans laquelle il resterait le plus souvent impuissant et stérile. L’idée peut être fausse, et la découverte très réelle : c’est ce qui est arrivé chez nous. Grâce aux systèmes historiques, que de faits réels enfouis sont venus à la lumière pour n’en jamais sortir! Quel jour profond sur l’organisation première de nos sociétés! que de peintures énergiques, fières, gracieuses, ingénues même! car tous les tons ont été habilement parcourus. Que de vie les auteurs de ces systèmes ont su donner à des choses qui avant eux étaient un vrai néant! Ils ont été créateurs, ils ont révélé des mondes oubliés. Ils n’auraient rien pu faire de tout cela, s’ils n’eussent été soutenus au moins par une hypothèse; mais aujourd’hui que les découvertes sont consommées, faut-il garder l’hypothèse, même reconnue pour fausse ? Christophe