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pour préparer cette forme de monarchie, il fallait d’abord qu’il n’en restât pas un vestige ni dans les esprits ni dans les choses. Et nous tous, amis de la liberté, différant sur tant d’autres points, nous nous hâtons de tous les bouts de l’horizon de venir nous rencontrer dans ces mêmes maximes d’état, où nous demeurons, il est vrai, inébranlables. On dit que dans l’enfer la même question rencontre éternellement la même réponse : — L’épreuve est-elle finie ? — Non. — Prenons garde de ne pas faire de notre histoire un enfer social.

Les yeux fermés, nous marchons ainsi, à travers la régence et le règne de Louis XV, jusqu’au seuil de la révolution, en 1789. À ce moment, quand cet édifice du pouvoir absolu, que nous avons laborieusement relevé, affermi, consacré de nos mains pendant quinze siècles, vient à nous manquer subitement, ce grand fracas nous réveille; ce que nous avions soutenu jusque-là, nous le renions, nous le condamnons sitôt que la force s’en détache. Notre logique et notre esprit de suite, que deviennent-ils ? Nous avons établi, comme loi nécessaire de l’émancipation civile, la progression constante du pouvoir absolu, et à peine le terme de cette progression est atteint, il se trouve que ce terme est odieux, que le but est manqué, que la justice ne peut naître, que l’événement a trompé tous nos calculs, que la nation égarée est obligée de creuser un fleuve de sang entre la veille et le lendemain ! Reconnue, confessée par nous, une expérience semblable, dont toute la terre retentit, nous arrache-t-elle au moins l’aveu que notre système est imparfait ? pour entrer dans la liberté, il nous faut un bouleversement de la nature tout entière. Reconnaîtrons-nous que nous nous sommes égarés ? Le but est manqué; en conclurons-nous que le chemin indiqué n’était pas le meilleur ? Point du tout. La vérité vient trop tard. Le système est bâti, tant pis si la nature le renverse :

Ce que j’ai fait, seigneur, je suis prêt à le faire.


Voyez l’aveugle entraînement : sacrifiant jusqu’au dernier instant les lumières de la conscience, nous avons rejeté le témoignage de notre raison, changé les mots, altéré le sens de la langue, fait violence à l’instinct des générations passées, tout cela pour ménager la pente des choses, pour nouer le passé et-l’avenir, pour que nous soyons transportés sans secousse, par le seul développement de la tradition, dans ce monde renouvelé où doivent éclore d’eux-mêmes tous les droits légitimes du citoyen, — et il se trouve qu’au bout de ce chemin mystique nous aboutissons à un cataclysme ! Quand il ne reste plus, dans les dernières années du XVIIIe siècle, qu’à recueillir les fruits