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de la réforme aux innovations modernes. Si nous tenons à conserver l’initiative des tempêtes, que ferons-nous ? Quel parti accepterons-nous dans le passé ? Il faut une certaine intrépidité pour sortir de cette épreuve, et je ne sache pas qu’aucun système en ait subi de pareille. Mais la méthode suivie jusqu’ici parle, juge, décide à notre place. Ramenant notre philosophie à la théorie du duel judiciaire, remontons à notre principe et posons nos questions accoutumées : Dans la France du XVIe siècle, quel a été le vainqueur ? — Le pape. — Quel a, été le vaincu ? — La réforme. — En d’autres termes, qui est resté le maître ? Est-ce le passé ou l’innovation ? — Le passé. — Sur cela, armés de cette grande maxime, que le vainqueur ne peut jamais avoir tort, que tous les faits accomplis dans notre histoire le sont dans l’intérêt de la liberté, nous décidons d’une manière générale qu’au XVIe siècle, en France, l’absolutisme religieux c’était l’indépendance, l’esprit d’examen c’était la servitude, l’inquisition c’était la vraie réforme, la monarchie espagnole c’était la royauté révolutionnaire.

Une fois notre parti pris, il est incroyable avec quel stoïcisme nous l’avons soutenu, nous distribuant les uns aux autres la tâche d’interpréter l’évidence jusqu’à ce que nous l’ayons changée en ténèbres. Les plus intrépides s’attachèrent à commenter la Saint-Barthélémy. C’était l’événement qui résistait le plus à nos doctrines : on eût regardé comme un prodige que cet événement pût entrer dans les traditions et les origines des libertés nouvelles; mais si ce prodige était accompli, quelle difficulté pouvait rester ? Évidemment, tout le problème était résolu. Il se trouva des hommes très accrédités pour qui ce miracle fut un jeu; ils prouvèrent doctement et de sang-froid, au moyen de la méthode acceptée jusque-là, que la sanglante exécution de la Saint-Barthélémy avait été un acte de salut public, lequel avait été indispensable pour abattre l’aristocratie et préparer l’ère de la fraternité moderne. Je ne sais dans quel langage mystique, accouplant les siècles les plus opposés, ils forçaient les papistes de la Saint-Barthélémy de communier avec les encyclopédistes de la convention dans la même coupe sanglante. Jamais l’esprit français n’avait été condamné à dévorer de si effroyables sophismes. Ce qu’il y eut d’étonnant, ce n’est pas qu’il se soit rencontré des auteurs pour inventer de pareilles choses, mais qu’il se soit trouvé beaucoup d’hommes pour y croire. On s’interrogeait, on se demandait si l’étonnement excité par ces théories n’en prouvait pas la profondeur. N’était-ce pas un trait de génie que de donner Pie V et Sixte-Quint pour précurseurs à Robespierre et à Saint-Just ? tant on avait besoin de se chercher des ancêtres, tant on était entraîné par l’idée que le peuple de France, étant le peuple de Dieu, n’avait pu se tromper de route