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d’esprit; il fut toutefois impossible de leur faire avouer que l’esclavage pouvait être une injustice en morale et un mal positif dans l’état. Il a été de même impossible de convaincre les Romains d’une chose plus claire que le jour, à savoir que les latifundia dépeuplaient l’Italie, et qu’ils périraient par là. La difficulté fut la même de persuader les Byzantins que pour le salut de leurs murailles il valait mieux combattre par l’épée que disputer sur la consubstantialité. Autre exemple : il fut impossible de faire comprendre aux Italiens modernes que l’empereur d’Allemagne ne descendait pas de Jules César, que les lansquenets d’Autriche n’étaient pas les légions de Trajan; au contraire, le plus beau génie consacra cette illusion, qui devint à la fois et la gloire et le fléau de l’Italie. De la même manière, il semble impossible d’arracher aux Français le système par lequel ils font des envahissemens du régime arbitraire au moyen âge la préparation aux libertés modernes.


III.

C’était peu d’avoir cherché dans la caducité byzantine le principe de toute renaissance; nous touchons au moment où la méthode va subir une plus rude épreuve. Le système se heurtera contre l’évidence, il n’en sera point ébranlé. Pour nous braver, éclate la grande révolution religieuse du XVIe siècle, qui renferme en germe toutes les révolutions morales et politiques de l’avenir! L’embarras qu’elle nous cause est immense. Les masses de la nation française ont rejeté cette révolution. Plus papiste que le pape, plus royaliste que le roi, le peuple chez nous au XVIe siècle a été l’adversaire de la liberté de conscience; il a, par tous les moyens que la passion peut inspirer, repoussé, condamné, maudit, accablé cette liberté naissante. Ici les choses humaines se partagent, il faut que nous fassions notre choix ; d’un côté, la France de la ligue, le catholicisme impitoyable du concile de Trente, la papauté. Pie V, Sixte V et cet immense effort vers le passé qui s’appuie sur l’Espagne et sur Philippe II; de l’autre, les nouveautés en matière de foi qui partout affectent l’état populaire, la république de Hollande, de Genève, les fondemens de tous les états qui sont libres aujourd’hui, et, pour représenter ce mouvement d’émancipation politique, des personnages tels que Guillaume d’Orange. Remarquez que, dans ce grand conflit, chacun des partis qui divisent le monde a sa pensée écrite sur son drapeau. Pour s’abuser, il faut absolument le vouloir. De plus, les temps qui ont suivi ont admirablement éclairé la question; on a vu depuis trois siècles les doctrines de la ligue aboutir partout à l’absolutisme, celles