Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique est annulée après la défaite des maillotins, la plèbe après celle des cabochiens. Aussitôt la formule implacable retentit : ces hommes, ces héros plébéiens ont été vaincus; c’était pour l’avantage du plébéianisme. Comme nous avons vu au XIIIe siècle la nécessité du massacre des Albigeois pour préparer dans l’avenir la victoire de )a philosophie historique, nous voyons maintenant au XIVe siècle la nécessité également indispensable de la chute des libertés politiques pour préparer les libertés du nôtre. Le mot déjà entendu, et qui enveloppe tout, est répété : c’était prématuré ! Le droit est prématuré dans les états-généraux de 1356. Il le sera également à toutes les convocations d’états-généraux qui suivront : inopportun en 1356, il est hors de saison en 1383, intempestif en 1413, malséant en 1484, compromettant en 1560, impossible, déraisonnable en 1614. La servitude seule, arrivant sagement, toujours à point, est toujours la bienvenue.

Nous voilà déjà loin du pieux respect que les historiens de l’antiquité nourrissent pour les tentatives et les efforts de leurs ancêtres. Nous ne savons adresser aux nôtres que de durs reproches dès qu’ils sont abattus, car ce n’est pas assez pour nous de raconter sans douleur la défaite du droit; nous nous faisons un point d’honneur de légitimer cette défaite, trouvant toujours mille excellentes raisons de l’approuver et de la consacrer, ce qui nous entraîne le plus souvent à braver l’évidence. A la place de ces raisons solides que les historiens cherchaient autrefois dans l’observation de la nature vivante, nous nous piquons de trouver nos raisons dans une maxime d’école. En voyant les communes naissantes refoulées, écrasées par le pouvoir royal, qui ne croirait que nous allons en tirer la conclusion naturelle, que ces communes sont tombées parce qu’elles se sont trouvées aux prises avec un pouvoir déjà démesuré, et que le plus faible a été étouffé par le plus fort ? Au lieu d’une cause si simple, si manifeste, et qui renferme un si profond enseignement, nous accusons les communes : si elles sont tombées, c’est par leur faute, par leurs excès, parce qu’elles obéissaient à un parti extrême, comme si la monarchie n’avait point été extrême, quand on dit à chaque ligne qu’elle était absolue ! comme si elle n’avait point commis d’excès, comme si un système ne pouvait vivre qu’à la condition d’être régi par des anges, comme si enfin, pour rendre raison de la chute violente et précipitée d’une institution, il suffisait d’avancer qu’elle n’était pas sans défauts !

Et non-seulement nous condamnons ainsi nos précurseurs, mais nous saluons d’un applaudissement unanime le pouvoir qui les accable. Le régime que nos historiens appellent une tyrannie protectrice se forme au XIVe siècle sans qu’il y ait de notre part une seule