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Refuserons-nous de la voir ? Nous obstinerons-nous à forger à la nature des lois qu’elle abolit sous nos yeux ? Nierons-nous l’évidence ? Ayons le courage de la reconnaître. J’ose dire que nous en serons récompensés par des vérités que nous ne possédions pas et que nous avions méconnues. Déjà si quelqu’un, placé à ce point de vue que nous ont imposé les choses, se retourne vers le passé, il sera étonné de découvrir combien tout est nouveau dans ces siècles auxquels nous pensions avoir donné une figure désormais immuable.

Les théoriciens de l’histoire de France ressemblent à un astronome qui, ayant calculé la courbe d’une étoile, verrait cet astre suivre une direction contraire à celle qu’il avait annoncée. Il faudrait bien avoir le cœur de confesser que le calcul est erroné et qu’il est nécessaire de le recommencer.

Savant, sage, illustre Hipparque, vous êtes l’honneur de notre âge. Vous avez mesuré les cieux; non-seulement vous avez assigné leur rang à toutes les étoiles visibles, mais vous en avez découvert plusieurs que personne n’avait aperçues. Vous avez fait plus : vous avez donné des lois à ce peuple d’étoiles; vous les avez disciplinées à vos formules infaillibles, et jusque-là ces mondes vous avaient obéi. Mais ce soir, en relevant la tête, j’ai vu que ces planètes, ces comètes que vous aviez révélées ont pris une route diamétralement opposée à celle que vous leur aviez prescrite. Vous leur aviez tracé leur route vers le midi, elles se précipitent aveuglément vers le nord. Apprenez-moi ce que je dois faire de ma triste découverte. Garderai-je le silence sur une désobéissance si éclatante de la nature ? Me ferai-je un devoir de bienséance, de complaisance envers vous, de vous cacher la révolte de ces provinces célestes que vous vous étiez soumises ? Répondrai-je à tous ceux qui viendront m’en entretenir : « Hipparque a décidé, il a parlé. Les cieux se repentiront de l’avoir contredit et reviendront sur leurs pas pour lui donner raison ? » Je crois, Hipparque, vous fournir une preuve plus certaine de mon estime pour vos mérites en vous avertissant de cette rébellion de la nature, afin que vous ayez encore le temps de corriger vos équations et de mettre votre sagesse, que personne ne conteste, d’accord avec la sagesse de l’ordonnateur des mondes.

Ces formules implacables, qui étonnent la nature humaine, auraient difficilement fait fortune parmi nous, si, après avoir emprunté aux pères de l’église et aux scolastiques l’esprit général de leur méthode, nous ne leur eussions emprunté jusqu’à leurs artifices et leurs procédés particuliers. Notre matérialisme déguisé nous a livrés tête baissée au mysticisme. Il arrive quelquefois aux pères et à Bossuet d’établir que tel grand homme n’a été qu’un instrument aveugle entre les mains de Dieu. Nous n’avons pas manqué de nous emparer