Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblé graviter vers ce présent qu’ils jugeaient indéfectible. C’était le fil avec lequel ils traversaient le moyen âge et les temps modernes. Point de difficultés qu’ils n’aient expliquées ou éclairées par cette conclusion! Là est l’originalité, la vitalité, la confirmation de leur art historique. Comme ils tenaient dans leurs mains le dénoûment du drame, ils en expliquaient aisément le début et les péripéties. Ils disaient : Nous avons le régime parlementaire, qu’on l’appelle royauté ou république. Or cet état a été précédé d’une succession de rois absolus dans la vieille France; donc ce qui a précédé est cause de ce qui a suivi; donc les princes absolus servent à préparer l’avènement des institutions libres; donc la formule générale de notre histoire est celle-ci : « En France, c’est le pouvoir absolu qui engendre la liberté ! »

De cette idée générale on venait aux faits particuliers; on concluait uniformément sur chaque règne de la manière suivante : — Ce roi anéantit toutes les franchises, soit des villes, soit des individus, et par là il hâta la civilisation et l’avènement des institutions représentatives, qui sont désormais notre patrimoine inaliénable. — Après avoir prouvé que ces despotes, et non pas d’autres, étaient indispensables pour préparer le sol où doivent s’enraciner toutes les garanties et germer tous les droits, on allait jusqu’à dire que s’ils n’avaient pas paru dans cette même succession, la liberté de l’avenir eût été pleinement impossible, — et par là s’achevait la théorie sur l’utilité des rois absolus pour le progrès des peuples constitutionnels.

L’échafaudage sur lequel reposait cette logique a croulé; le fil qui conduisait l’historien s’est rompu dans ses mains, le fondement de la méthode s’est englouti. J’interroge autour de moi; je demande, je cherche ce que sont devenus les savans systèmes qu’il supportait.

Il est superflu d’ajouter que, dans cet examen, je n’ai pas en vue tel ou tel écrivain, mais bien un certain entraînement que tout le monde a partagé, et auquel le public a cédé plus que les écrivains eux-mêmes.

Heureux celui qui, dans un vaste récit toujours serein, a suivi jusqu’au bout le cours des temps sans dogmatiser! Heureux aussi ceux qui ont fait devant des auditoires l’épreuve de leurs idées! La présence d’hommes rassemblés les a sauvés de l’excès des théories; mais cela même s’est quelquefois retourné contre eux. Dans la manie dont on était saisi pour les théories inflexibles, s’il se trouvait un historien qui sortît de la logique convenue, si le cri des choses lui faisait oublier les engagemens du système, s’il touchait la plaie intime, s’il écoutait, après les livres, le battement du cœur dans les générations passées, s’il s’adressait aux légendes, aux symboles, aux pierres même, pour avoir le secret de ceux qui ne parlent pas,