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J’en suis, pour mon compte, si convaincue que je craindrais que le mal ne fût tout à fait irréparable. Cependant, comme je désire faire tout ce qui vaudra le mieux pour mon fils, je suis prête à me soumettre aux personnes plus sages que moi et qui nous veulent du bien. Ne manquez pas, je vous prie, de me répondre quelques mots par le prochain courrier; jusque-là, je tiendrai sir James en suspens. »

La sagesse maternelle l’emporta sur les intérêts de parti, et au lieu de se présenter aux élections du comté de Middlesex, lord Tavistock alla achever son éducation à l’université d’Oxford, « où notre jeune noblesse, écrit lady Russell au docteur Fitz-William, devrait passer une partie de son temps, ce qui a été négligé depuis bien des années. »

Elle portait, dans les plus simples incidens de la vie privée, le même bon jugement, la même droiture et délicatesse morale, avertie par là et mise en garde contre les préjugés, les légèretés, les insouciances, les insolences trop communes dans les vieilles aristocraties. Avant de se décider à donner sa fille Catherine au fils du duc de Rutland, elle demanda à celui-ci : « Votre seigneurie ne pense-t-elle pas que nous devons à ce jeune couple de les mettre à la portée de se voir un peu plus et de se connaître un peu mieux qu’ils n’ont encore fait ? Au moins faut-il qu’ils entrevoient mutuellement leur caractère, avant que nous nous hasardions à les engager dans cette union qui, je l’espère, sera heureuse. » Quelques années plus tard, elle avait à disposer, en vertu du droit de patronage, de deux bénéfices ecclésiastiques; elle écrit à l’un de ses amis, sir Robert Worsley : « Je trouve les gens du pays disposés à bien accueillir M. Swayne. Je crois qu’il mérite d’être choisi et que vous le pensez comme moi. Cependant, si vous connaissiez quelque circonstance qui l’empêchât de convenir tout à fait à cet office, je suis persuadée qu’à raison de l’importance de la décision et par égard pour moi, qui vous le demande, vous me mettriez en garde contre toute erreur. Je dois vous le dire, je regarde le soin de tant d’âmes comme une charge très pesante, et j’ai voulu prendre du temps pour bien savoir à qui je la confie. Je ne puis faire, en faveur de M. Swayne, aucune exception à mes scrupules. »

Tant de vertu et de sagesse, les mêmes à travers les épreuves les plus contraires, au sein des faveurs comme sous les rigueurs du sort, valurent à lady Russell, parmi le peuple comme à la cour d’Angleterre, une considération et presque une autorité morale qu’ont rarement obtenue des femmes qui ont fait bien plus de bruit dans le monde. Après leur élévation au trône comme auparavant, le roi Guillaume et la reine Marie continuèrent à lui témoigner les mêmes égards et à tenir le même compte de ses désirs. Au moment de la