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écrit à cette occasion sir James Forbes, toutes les objections que le duc de Bedford et vous-même pouvez faire; ils ont persisté à penser qu’il est de votre intérêt et de l’honneur de la famille que votre fils se présente en ce moment. Unis à un très galant homme, sir John Woolstonholme, ils l’emporteront certainement, et écarteront deux tories notoires. Quand j’ai dit que lord Tavistock était sur le point d’aller à Cambridge, et ensuite de voyager pendant deux ou trois ans, lord Shrewsbury m’a répondu qu’ils ne s’opposeraient nullement à ce dessein, que lord Tavistock n’avait besoin de paraître qu’une fois à l’élection, qu’il y serait accompagné par plusieurs milliers de gentilshommes et d’autres personnes venues à cheval de la ville, et que les dépenses ne seraient rien ou bien peu de chose. Lord Shrewsbury m’a chargé en outre de vous dire que si vous consentiez, comme il n’en doute pas, à ce projet, il vous demandait la permission de présenter votre fils, pour ce jour-là seulement, sous le nom de lord Russell, nom qui lui rallierait dix mille voix de plus, s’il y a autant de francs-tenanciers dans le comté. »

Que de séductions pour l’amour et l’orgueil conjugal et maternel de lady Russell !


X.

Elle n’y succomba point. Elle avait pour s’en défendre deux grandes forces, sa piété et sa douleur. A l’occasion des titres et des honneurs conférés à la famille des Russell, « j’aurais fait, dit-elle, tout ce qui eût dépendu de moi pour les leur procurer; mais toutes ces choses extérieures ne peuvent me faire sentir aucune vraie joie. » Elle repoussa avec un bon sens plein de modestie le triomphe prématuré que la politique offrait à son fils : « Je vous envoie, mylord, écrit-elle à son beau-frère lord Edouard Russell, la lettre que j’ai reçue hier de notre ami sir James Forbes; je vous prie de la lire, et, si vous ne le trouvez pas inconvenant, d’aller voir le duc de Shrewsbury. J’ai tant de déférence pour son jugement, que, si je pouvais croire qu’il a sérieusement réfléchi sur cette affaire, cela me ferait douter de ma propre raison, et votre père, qui ne sait encore rien de la lettre désir James ni de ce que je vous écris en ce moment, éprouverait sans doute la même impression que moi. Vous vous rappelez combien il a été opposé à cette idée lorsque j’en ai reçu, il y a quelques jours, un premier avis. Il ne faudrait rien moins que l’opinion bien ferme de sa grâce pour changer celle de mylord Bedford; il redoute infiniment l’interruption qu’apporterait dans l’éducation de mon fils son élection comme membre du parlement, interruption qui le perdrait peut-être en le rendant impropre à quoi que ce fût dans l’avenir.