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décisives qui mirent Guillaume III sur le trône : « Les personnes qui ont vécu le plus longtemps et vu le plus de changemens, écrit-elle au docteur Fitz-William, ont peine à croire que ceci soit autre chose qu’un rêve. C’est pourtant bien réel, et une si merveilleuse miséricorde que nos cœurs devraient se fondre en actions de soumission et de grâces envers celui qui dispense comme il lui plaît ces grands coups de sa Providence. » Quoiqu’elle n’eût entretenu avec le prince d’Orange aucun rapport, ils n’étaient point inconnus ni indifférens l’un à l’autre; Guillaume savait trop bien quelle était en Angleterre la valeur du nom de lord Russell et la considération de sa veuve, pour n’en pas prendre d’avance un soin particulier. Lorsqu’en 1687 il envoya à Londres son ambassadeur Dykeveldt, il lui ordonna d’aller visiter lady Russell, et de lui exprimer en son nom la profonde estime et le grand intérêt qu’il lui portait. Je reproduis textuellement le récit détaillé de cette visite, écrit, le 24 mars 1687, de la main de lady Russell : « J’ai reçu, dit-elle, une visite de M. Dykeveldt, l’ambassadeur hollandais. Il m’a parlé en français. Il venait m’apporter les condoléances du prince et de la princesse d’Orange pour mon cruel malheur. Ils en avaient eu et ils en avaient toujours un profond sentiment; ma perte avait été si grande qu’ils ne doutaient pas que mon chagrin ne fût toujours le même; ils portaient à ma personne, à ma propre famille et à celle dans laquelle je suis entrée par mon mariage, une grande estime, et ils saisiraient volontiers toutes les occasions de la témoigner. Ce serait pour eux un vrai plaisir si je pouvais trouver quelque soulagement à recevoir l’assurance que, si jamais cela était en leur pouvoir, je ne demanderais rien qu’ils ne fussent heureux d’accorder. Pour mon fils en particulier, tout ce que je pourrais désirer de leur part serait fait aussi complètement que ce serait possible. M. Dykeveldt ne me tenait pas ce langage, m’a-t-il dit, comme simple particulier, mais en sa qualité de ministre public. Il m’a alors longuement entretenue, me donnant la joie d’entendre les hautes idées que le prince avait toujours eues et gardait toujours de mon excellent mari et seigneur; son altesse n’avait jamais accusé ses intentions, même au moment de son malheureux sort, et elle avait déploré sa perte comme un coup fatal au plus cher intérêt de l’Angleterre, la religion protestante. M. Dykeveldt avait souvent entendu le prince parler de mon seigneur, et toujours avec la plus parfaite estime qu’on puisse porter à un homme. Il a ajouté, en protestant qu’il ne disait pas cela pour m’être agréable, qu’il avait trouvé ici la même justice rendue à la mémoire de mon mari, et si universellement que ceux-là même qui ne sont pas favorables à ses actions ou à sa personne, respectent grandement son nom et conviennent qu’en fait d’intégrité, d’honneur, de