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Après avoir passé dix mois à Woburn, dans la solitude et l’immobilité, elle sentit le besoin de changer de lieu, de chercher d’autres impressions. Le 20 avril 1684, elle écrivit au docteur Fitz-William :

« J’ai quelque idée d’aller passer quelques jours à Stratton, dans ce lieu désolé où j’ai vécu dans un si doux et si complet contentement. Je considérais alors la condition de tout le monde autour de moi, et je n’en trouvais aucune qui méritât mon envie. Je ne passerai plus de tels jours sur la terre. Mais les lieux ne sont rien; où puis-je habiter que sa figure ne soit toujours devant moi ? Et je ne voudrais pas qu’il en fût autrement. Je suis décidée, rien ne m’arrêtera; j’irai partout où j’aurai des devoirs à remplir. »

Et cinq mois après, le 1er octobre de la même année :

«... Je me suis déterminée à rentrer l’hiver prochain dans cette demeure désolée, ma maison de Londres. Le médecin dit que c’est le meilleur séjour pour mon petit garçon, et je n’ai rien à opposer à cette raison-là... Avec l’aide de Dieu, j’essaierai de supporter ce séjour dont la seule pensée m’épouvante. Mais je sais que, si mon chagrin n’avait pas d’autre racine, celle-là disparaîtrait en peu de jours. »

Elle n’exécuta pas immédiatement son projet, et six semaines après elle écrivait au docteur :

«Vous trouvez que j’ai traîné ici bien longtemps. Personne ne s’en étonnera qui voudra bien se rappeler que le lieu où je vais me transporter a été le théâtre de mon éternel malheur, un lieu où j’ai si vainement tenté de sauver une vie pour laquelle j’aurais si volontiers donné la mienne. Docteur, c’était un trésor inestimable que j’ai perdu là; j’avais vécu avec lui au comble du bonheur de ce monde. Je dois me souvenir, je le sais, que j’ai un meilleur ami, un ami qui ne peut m’être enlevé, vers qui, et de tout l’élan de mon cœur, je désire m’élever : les joies spirituelles lutteront alors en moi contre les douleurs terrestres, et rendront quelque tranquillité à une âme ballottée et brisée par les épreuves de la vie; mais, j’en ai l’expérience, je n’atteins que pour des momens rares et courts à cette disposition si désirable, et je crains qu’ils ne soient plus rares encore quand j’habiterai cette ville et cette maison de deuil où tant de coups reviendront m’assaillir. Mais puisque j’ai déjà porté tant de mois le fardeau de mon mal réel, j’espère que, Dieu aidant, je ne succomberai pas sous l’ombre. »

Dieu en effet lui venait en aide, et, tout en retombant souvent dans ses accès de désespoir ou de faiblesse, elle s’en relevait toujours et retrouvait, pour échapper à toute exagération dans ses sentimens et dans son appréciation de sa destinée, l’impartiale fermeté de son esprit et la profonde piété de son cœur. Les deux lettres suivantes en sont un admirable témoignage :