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prince qui aspirait évidemment à détruire la religion et la constitution du pays. Ainsi poussés l’un et l’autre à bout, ils se décidèrent à tenter, le roi la tyrannie, et le parti national l’insurrection. Au moment de la crise, en 1681, quand le dernier parlement de Charles II fut dissous, deux hommes, lord Shaftesbury et lord Russell, étaient à la tête de la lutte : Shaftesbury, déjà vieux, ambitieux aussi infatigable que corrompu, corrompu à toutes les sources de la corruption, par la cour, par le pouvoir, par la popularité; exercé dès sa jeunesse à chercher et à trouver sa fortune dans les intrigues et les complots; esprit audacieux et souple, sagace et fécond, puissant sur les hommes, également habile à servir et à nuire, à plaire et à brouiller, attaché pourtant, par orgueil et par prévoyance, au parti protestant et national, à ses yeux certainement le plus fort et le dernier vainqueur, et bien déterminé à sauver en tout cas sa vie, pour recueillir le fruit de ses menées ou pour les recommencer; — lord Russell, jeune encore, sincère, ardent, inexpérimenté, esprit roide, cœur plein de foi et d’honneur, consciencieux en conspirant, prêt à donner sa vie pour sa cause, mais incapable de tout faire indifféremment pour réussir ou pour se sauver. Entre ces deux hommes engagés, à des degrés divers, dans la même entreprise, il était aisé de prévoir lequel serait ici-bas l’instrument en cas de succès, la victime en cas de revers.

Les conspirateurs se réunissaient quelquefois, pas toujours les mêmes, se méfiant les uns des autres et ne se disant pas mutuellement jusqu’où allait leur dessein. Lord Russell projetait la résistance à main armée contre la tyrannie royale, acceptant peut-être au fond de son âme, sans se les avouer, les conséquences d’une telle résolution. Lord Shaftesbury voyait clair dans son dessein, et préparait à tout prix le renversement du roi et l’avènement d’un successeur autre que le légitime héritier. Quelques-uns méditaient une attaque soudaine et l’assassinat de Charles II. Il y avait parmi eux des républicains qui poursuivaient leur rêve, et aussi des traîtres, soit déjà achetés par la cour, soit prêts à lui livrer leur secret et leurs complices pour se soustraire au péril. Comme ils étaient réunis un jour, lord Russell vit entrer, avec le colonel Sidney et M. Hampden, un homme qu’il méprisait, lord Howard : « Qu’avons-nous affaire de ce drôle ?» dit-il à lord Essex, son intime ami, et il voulait se retirer; mais Essex le retint, pensant mieux de lord Howard, et ne soupçonnant pas que ce fût là l’homme dont le témoignage les perdrait bientôt tous les deux.

Quelques jours plus tard, lord Mordaunt, royaliste ardent et fort éloigné de conspirer, mais très bienveillant pour lord Shaftesbury, se trouvait chez la maîtresse du roi, la duchesse de Portsmouth,