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VII.

Dix mois à peine après cette lettre pleine de tant d’amour, de bonheur et de confiance, la foudre éclatait dans ce ciel si pur; lord Russell était prisonnier à la Tour de Londres et comparaissait aux assises d’Old-Bailey, accusé de haute trahison. Pendant plusieurs années, il avait siégé dans la chambre des communes sans prendre grande part, ni peut-être même grand intérêt à ses débats. Il était jeune et emporté ailleurs par les ardeurs de la jeunesse. L’Angleterre épuisait lentement ses joies et ses espérances de la restauration. Les souvenirs, des temps révolutionnaires et la réaction contre leurs maximes, leurs actes et leurs acteurs remplissaient les esprits. Charles II et sa cour exploitèrent avec un égoïsme licencieux ces passions dévouées. A force de les exploiter, ils les usèrent. Leurs prétentions, leurs vices, leurs fautes suscitèrent des questions et des passions nouvelles. Les anciens royalistes, les hommes qui avaient servi Charles Ier et combattu Cromwell disparurent. Des hommes nouveaux, et sous leur conduite des partis nouveaux entrèrent en scène : le parti de la couronne et le parti du pays, bientôt les tories et les whigs; héritiers, mais héritiers profondément transformés des cavaliers et des têtes-rondes. Le parlement était devenu l’arène et l’instrument essentiel de la politique; le Long-Parlement royaliste poursuivait, en la maudissant, l’œuvre que le Long-Parlement révolutionnaire avait entreprise; la monarchie relevée triomphait par les mêmes armes qui l’avaient, abattue; le roi gouvernait le pays par le parlement, et le parlement par ses propres chefs devenus les conseillers de la couronne.

Par une coïncidence qu’on ne peut remarquer sans émotion, ce fut à peu près vers la même époque que lord Russell épousa lady Vaughan, et qu’il s’engagea avec éclat dans le parti du pays contre celui de la cour. Le bonheur domestique et la passion patriotique commencèrent pour lui en même temps. D’un cœur généreux, bienveillant et pur, d’un esprit élevé, mais peu étendu et peu clairvoyant, d’un caractère plus obstiné que fort, et disposé à se laisser aisément entraîner, ou dominer, ou tromper, dans le sens de ses penchans, il devint bientôt l’un des plus ardens adversaires de la cour et l’ornement moral, sinon le chef politique du parti du pays. Toujours prêt à se risquer pour sa cause, il prit pendant onze ans, dans la chambre des communes, la défense et souvent l’initiative des mesures d’opposition les plus extrêmes, entre autres du bill proposé pour exclure le duc d’York, comme catholique, de la succession à la couronne. Il avait dans son parti et dans la nation, outre le mérite de se dévouer pour eux, le charme de partager presque toujours leurs