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et de faire un bon usage de l’épreuve qu’il vient de m’imposer. » Pourtant les mœurs du temps, les exemples de la cour, les entraînemens de la jeunesse, et peut-être aussi un peu de laisser-aller naturel et imprévoyant, le jetèrent quelque temps dans une vie peu régulière. On le rencontre engagé dans plusieurs duels suscités probablement par des causes frivoles; mais au moment de cet acte toujours sérieux, quelque frivole qu’en soit la cause, les sentimens sérieux reparaissent dans l’âme du jeune William Russell, empreints d’une simplicité affectueuse et d’une bonté touchante. Le 2 juillet 1663, il écrit à son père, le comte de Bedford :


«Mylord,

« Quoique je me croie assez de courage pour me battre avec qui que ce soit sans désespérer de la victoire, je sais que l’issue de ces combats dépend de la fortune, et que la victoire n’appartient pas toujours à celui qui a le plus de courage et la meilleure cause, mais au plus heureux. Je veux donc laisser après moi ces lignes pour vous exprimer, si le sort m’est contraire, un peu de ma reconnaissance pour la bonté et l’amitié que votre seigneurie m’a témoignées, bien au-delà de mes mérites. J’en ai le plus profond sentiment qui se puisse avoir, et je ferai, tant que je vivrai, tous mes efforts pour vous le prouver par mes actions. Réellement, mylord, je me sens le plus heureux homme du monde dans mon père, et j’espère qu’à l’avenir du moins, si je ne l’ai déjà fait, votre seigneurie ne se trouvera pas malheureuse dans son fils. Mylord, en cas de mauvaise chance pour moi (sans quoi cette lettre n’ira pas dans vos mains), permettez-moi de vous prier de vous souvenir de moi dans la personne de ceux qui m’ont bien servi. Que mon ami Taaffe n’ait pas à souffrir, je vous en conjure, pour son généreux empressement à me soutenir dans cette affaire. Plusieurs fois déjà il s’est montré pour moi un ami très dévoué; je vous prie de le tirer de toute peine. Quant à mes gens, je ne doute pas que votre seigneurie ne les traite bien. Mon valet de pied, Robin, m’a servi fidèlement, avec soin et affection, et il a perdu bien du temps auprès de moi : je désire que vingt livres par an lui soient assurées pour sa vie. J’espère que vous voudrez bien récompenser largement mon domestique français, qui m’a témoigné du zèle et de l’attachement. Quant à mes dettes, j’ai la confiance que votre seigneurie prendra soin qu’elles soient payées, et je les établis ici pour prévenir toute erreur. Je dois d’abord cent livres, puis quarante, et peut-être quatre ou cinq livres de plus à mylord Brook. Je ne me rappelle en ce moment point d’autre dette, excepté pour mes habits et quelques autres fournitures de l’hiver dernier, dont mon domestique donnera le compte. Je n’ai pas le temps d’en écrire plus long, et je termine en assurant votre seigneurie que je suis, autant que personne le pût être, mylord, de votre seigneurie, le fils le plus affectionné et le plus humble serviteur,

« WILLIAM RUSSELL. »


La vie ne peut être longtemps désordonnée quand l’âme est si droite, si respectueuse et si tendre. Les mœurs de William Russell ne