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de bienfaisance populaire qui font l’honneur et le crédit d’une aristocratie chrétienne. En 1653, à dix-sept ans, elle était belle, pieuse et gaie, sans exaltation ni exigence d’imagination, disposée à jouir paisiblement de la vie, prenant ses biens comme des grâces et ses maux comme des leçons venues de Dieu. Lord Vaughan, fils aîné du comte de Carberry, la demanda en mariage presque sans la connaître, et par un arrangement entre parens. Ce fut, comme elle le disait elle-même plus tard en parlant de l’une de ses amies, « une de ces unions acceptées plutôt que choisies de part et d’autre. » Elle alla vivre chez son beau-père, à Golden-Grove, dans le pays de Galles, et s’acquitta, sans effort comme sans bruit, de tous les devoirs de sa situation nouvelle, inspirant à tous ses entours une vive affection, mais ne produisant d’autre effet que celui d’une vertu douce, d’une humeur agréable, et surtout d’une bonté si parfaite, si constante qu’on lui en parlait à elle-même comme d’un mérite singulier : « Il n’y a dans le monde, chère madame, lui écrivait un ami de son mari, point de charme comparable à celui de la bonté, et vous en êtes la meilleure preuve. Tous ceux qui vous connaissent se sentent forcés de vous honorer, et vous ne leur en devez aucune reconnaissance, car ils ne peuvent faire autrement. » Quatorze années s’écoulèrent ainsi pour lady Vaughan, vertueusement et modestement heureuse. En 1665, elle eut un enfant qui mourut presque en naissant. En 1667, sans qu’il reste aucun détail sur la mort de son mari, elle était veuve, et vivait avec sa sœur chérie, lady Élizabeth Noel, à Tichfield, dans ce château de leur père où s’était passée son enfance. Lord Southampton venait de mourir, laissant à ses deux filles toute sa fortune. Lady Élizabeth Noel avait reçu Tichfield en partage ; la terre et le château de Stratton, situés aussi dans le Hampshire, étaient le lot de lady Vaughan.


V.

Vers le même temps, un jeune homme, plus jeune de trois ans que lady Vaughan, William Russell, second fils du comte de Bedford, débutait, peu activement encore, dans le monde et dans la vie publique. Après trois ans de voyages sur le continent, il était revenu en Angleterre peu avant la restauration, et avait été élu membre de la chambre des communes qui remit Charles II sur son trône. Il reste peu de traces de sa vie et de son caractère à cette époque ; un billet de lui, adressé à M. Thornton, indique une disposition sincèrement pieuse : « Je relève, dit-il, d’une maladie violente qui m’a mis si bas que je me suis vu aux portes de la mort. Mes prières à Dieu sont qu’il m’accorde, avec la santé, la grâce de l’employer à son service,