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lui et pour ses enfans, des lettres de naturalisation, et en janvier 1680 il écrivait à sa nièce, lady Russell : « Je vous envoyé nos lettres de naturalité, qui seront mieux entre vos mains qu’entre les miennes. Je vous prie, et madame votre sœur aussi (lady Elizabeth Noel), de me les conserver. Elles peuvent servir, puisqu’il n’est rien de plus incertain que les événemens. » L’événement ne demeura pas longtemps incertain ; cinq ans après, l’édit de Nantes était formellement révoqué ; Ruvigny obtenait à grand’peine, pour prix de ses services et par la bienveillance personnelle de Louis XIV, la faveur de s’exiler, sans fuir, de sa patrie avec sa famille, et quelques années plus tard, en 1711, le roi donnait à l’abbé de Polignac la confiscation des biens de son fils, Henri de Ruvigny, engagé au service de Guillaume III, et devenu en Angleterre lord Galway.

Le maréchal de Schomberg dans l’armée, l’amiral Duquesne dans la marine et le marquis de Ruvigny dans la diplomatie, la révocation de l’édit de Nantes, sans parler de ses conséquences générales, coûta à la France et au roi ces trois excellens et glorieux serviteurs.


IV.

Du mariage du comte de Southampton avec Mlle Rachel de Ruvigny naquit en 1636 une fille qui porta, comme sa mère, le nom de Rachel. Issue de ces deux nobles et consciencieuses races, élevée dans ces traditions anglaises et françaises de piété et de vertu, elle reçut en outre, des événemens au milieu desquels se passa sa jeunesse, ces fortes impressions morales qui élèvent les âmes qu’elles n’accablent pas. Elle apprit de bonne heure à s’émouvoir profondément pour des infortunes qui n’étaient pas les siennes, et à supporter doucement les épreuves domestiques. Elle avait perdu sa mère dans son enfance. Lord Southampton se remaria, occasion de petits déplaisirs intérieurs, même quand ce n’est pas une source de vrais chagrins ; mais il n’en porta pas moins aux deux filles que lui avait laissées Mlle de Ruvigny l’affection la plus tendre, et Rachel n’en respecta et n’en chérit pas moins son père. En politique, elle le voyait se dévouer, sans la moindre illusion ni servitude d’esprit, à la cause que, à tout prendre, il croyait la plus juste, et rester en même temps patriote et royaliste. En religion, les conversations et les actions de lord Southampton étaient empreintes d’une piété libérale et douce : rien, dans la vie que menait sa fille, ne venait la troubler ou la distraire des impressions que déposaient dans son âme ces salutaires exemples. Précisément à l’époque où elle passait de l’enfance à la jeunesse, elle vécut loin du monde, à la campagne, dans ces habitudes de tranquillité, de dignité, de simplicité, d’élévation sociale et