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En étudiant la révolution d’Angleterre, j’y ai rencontré deux histoires plus attachantes, à mon avis, qu’aucun roman : un roi cherchant un mariage d’amour, et l’amour dans le ménage d’un grand seigneur libéral et chrétien. C’est la vie privée avec ses plus charmans et ses plus douloureux secrets, sous les traits des plus grands personnages et au milieu des plus grands événemens de la vie publique. Je raconterai peut-être un jour le projet de mariage du roi : c’est le ménage du grand seigneur que je veux reproduire aujourd’hui.


II.

Parmi les conseillers et les défenseurs de Charles Ier, dans ses adversités, Thomas Wriothestey, comte de Southampton, fut à la fois l’un des plus indépendans et des plus fidèles. Par goût, il n’aimait ni la cour, ni le pouvoir, ni ses propres grandeurs. Fils cadet, la mort presque simultanée de son père et de son frère aîné le mit brusquement en possession du titre et de la fortune de sa maison. Il en fut plus embarrassé que charmé, et pendant quelque temps il rougissait et détournait la tête quand on l’appelait mylord. C’était un naturel mélancolique, indolent et fier, plein de passion, mais réservé et silencieux, fortement attaché à ses idées et à ses sentimens, et prêt, pour leur cause, à tous les sacrifices, enclin même à braver hautainement leurs ennemis, mais sans ambition, sans esprit de domination, peu ardent au succès, lent à l’espérance, et ne sortant de son repos que par devoir ou par nécessité. Quand la lutte commença entre Charles Ier, et le Long-Parlement, lord Southampton prit sa place à la chambre des pairs dans des dispositions peu favorables aux actes et aux prétentions de la couronne et de ses ministres, surtout de lord Strafford. Bon Anglais, il voulait le respect des lois, des traditions nationales, et l’intervention du parlement dans les affaires du pays. Chrétien équitable et doux, s’il n’était pas arrivé à regarder la liberté de conscience comme un droit, la tyrannie en matière de conscience le choquait, et il désirait, en faveur des dissidens, plus de tolérance et de charité. Au début du Long-Parlement, il vota souvent contre la couronne, les évêques, et pour la réforme des abus ou le châtiment des violences du despotisme religieux et politique. Il ne paraissait guère à la cour, et passait, autour du roi, pour un mécontent et un frondeur, comme le comte d’Essex, son ami; mais quand il vit éclater les violences populaires, les emportemens et les iniquités parlementaires, les lois violées et la monarchie menacée par de nouveaux despotes, il se retourna soudain et prit place, sans plaisir, sans confiance, mais avec une fierté consciencieuse.