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est mis en doute, rien ne reste debout ; les institutions fondent en quelque sorte sous les hommes, dominés par leurs entraînemens. Lorsque les hommes les plus considérables de cette assemblée constituante qui siège à Madrid se mettaient d’accord, il y a bientôt trois mois, pour consacrer par un vote solennel le principe monarchique et la dynastie d’Isabelle II, ils obéissaient sans nul doute à la plus sage pensée. Il n’est pas moins vrai que depuis ce moment la royauté n’a point cessé d’être mise en question. Une première fois une proposition singulière a été faite pour refuser à la reine le droit de sanctionner les lois, et ce qu’il y a de plus étrange, c’est que le gouvernement lui-même a consenti à restreindre le droit de sanction aux lois ordinaires. Dans la discussion plus récente de la constitution, on a proclamé de nouveau le principe de la monarchie ; mais qu’a-t-on vu ? On a vu des orateurs comme M. Olozaga mettre en doute la légitimité héréditaire d’Isabelle II, en ajoutant qu’en droit le fils de don Carlos était le vrai roi légitime, et de plus, à côté du principe de l’institution monarchique, on a inscrit dans la constitution un principe vague et abstrait de souveraineté nationale qui est une menace perpétuelle. Ces jours derniers encore, il a fallu une nouvelle manifestation des cortès pour déclarer que la reine avait le droit de sanctionner un certain nombre de lois votées depuis quelque temps. Le fait est que la monarchie est une fiction. Et cependant, si le pouvoir n’est pas là, est-il dans l’assemblée constituante ? Il y est si peu, que les cortès ne peuvent rien, qu’elles se débattent dans leur impuissance et dans un tourbillon de propositions oiseuses ou contradictoires. Le pouvoir est-il donc dans le ministère ? Si le duc de la Victoire conserve un certain ascendant, il n’en est pas moins obligé de disputer sans cesse le peu d’autorité qu’il exerce ; car les cortès, qui n’ont pas assez de force pour rien faire par leur propre impulsion, ni même pour renverser le ministère, ont cependant encore la ressource de l’ébranler en détail en toute occasion. Et à quoi une telle politique conduit-elle l’Espagne ? Elle aboutira prochainement peut-être à une nouvelle levée de boucliers du parti carliste.

C’est là un des côtés de la situation de la Péninsule, et l’état de ses finances est loin d’être plus rassurant. Les cortès, comme on sait, ont aboli, il y a quelque temps, les droits de consommation et d’octroi. L’Espagne n’a point cessé d’être sous le poids de ce vote, qui a tari subitement une des sources du revenu public, sans lui substituer des ressources nouvelles. L’abolition des droits de consommation a eu un plus triste effet encore : elle a supprimé une recette du trésor, et elle n’a nullement tourné au profit des consommateurs, ce qui était facile à prévoir. Il faut cependant songer à remédier à une telle situation, qui s’aggrave chaque jour, car toutes les recettes du trésor diminuent, et le déficit dans les recettes pour 1854 est de plus de 60 millions de réaux. C’est sous l’empire de ces complications inextricables que le nouveau ministre des finances, M. Madoz, a imaginé un projet qui consiste dans la vente de tous les biens du clergé et des communes. D’abord c’est là une question qui peut soulever les plus graves difficultés politiques. La vente des biens communaux est loin d’avoir jamais été populaire, et elle peut rencontrer une hostilité qui la rendra impossible ou illusoire. La vente des biens du clergé soulèvera moins d’embarras, si elle s’accomplit conformément au concordat, qui la prévoit et en détermine les conditions ; mais