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tion chers. Aujourd’hui c’est le frère du roi, le duc de Gênes, qui vient de succomber jeune encore et emporté par une maladie implacable. Le duc de Gênes était le second fils de l’illustre et malheureux Charles-Albert, qu’il rappelait à beaucoup d’égards. Passionné pour la gloire de son pays, il avait fait la guerre de 1848 comme son père, comme son frère le duc de Savoie, maintenant Victor-Emmanuel II, et il s’était distingué au siège de Peschiera, qu’il dirigeait. Il avait été nommé grand-maître de l’artillerie, et lorsque la mort est venue l’enlever, il nourrissait encore, dit-on, l’ambition de commander les soldats piémontais qui doivent aller en Crimée. Il avait trente-deux ans à peine. L’impression douloureuse qu’éveillent dans tout le pays ces deuils royaux s’explique naturellement par la popularité de la maison de Savoie, l’une des plus anciennes de l’Europe, et par une longue tradition de sentimens communs entre ce petit peuple et ces princes militaires. L’instinct des services que pouvait rendre le duc de Gênes à son pays ne fait qu’ajouter à la vivacité de cette impression universelle au moment où le Piémont entre activement dans la confédération de l’Europe.

Malheureusement, comme nous le disions, à côté ou en dehors de ces incidens d’un caractère en quelque sorte domestique, il reste encore aujourd’hui pour le Piémont une grande question politique qui ne fait que s’aggraver : c’est la question religieuse, la question des rapports du gouvernement piémontais avec Rome, à laquelle la discussion récente d’une loi sur la suppression des couvens et sur la dépossession du clergé est venue fournir un nouvel et périlleux aliment. Depuis quelques années, on le sait, les relations du gouvernement piémontais avec le saint-siège sont de la nature la plus délicate et la plus difficile. Le cabinet de Turin, placé sous l’empire du statut, a voulu mettre certaines parties de l’ordre ecclésiastique en harmonie avec les principes constitutionnels, notamment en soumettant le clergé à la juridiction laïque ordinaire dans toutes les affaires civiles et criminelles, en supprimant les dîmes dans l’île de Sardaigne, en prenant diverses autres mesures. Le saint-siège a vu dans ces mesures une atteinte aux droits de l’église. Le clergé piémontais a protesté et agi contre les lois nouvelles. Il s’en est suivi des conflits qui ont eu même pour résultat l’exil de plusieurs prélats. Des négociations ont été plusieurs fois entamées, elles n’ont rien produit. La lutte cependant n’avait encore rien d’extrême, lorsque le cabinet de Turin a proposé récemment aux chambres la loi qui supprime les couvens et met au pouvoir de l’état les propriétés ecclésiastiques. Le souverain pontife, à son tour, a répondu par un monitoire où il menace le Piémont des peines de l’église. Maintenant, dans cette situation extrême, trouvera-t-on un moyen de reprendre toutes ces affaires et de les placer sur un meilleur terrain ? Là est la question. Que le gouvernement piémontais ait eu la pensée, depuis 1848, d’opérer des réformes dans l’organisation temporelle du clergé, d’assurer au pouvoir civil ses prérogatives essentielles, rien n’est plus simple et plus naturel. Que ces réformes aient rencontré des difficultés, de ces difficultés qu’on ne surmonte qu’avec un peu de temps et avec beaucoup d’esprit de conciliation, il ne faut pas s’en étonner sans doute. Il est évident toutefois que le jour où l’état, de son autorité propre, mettrait la main sur les propriétés de l’église, ce jour-là ces complications s’aggraveraient singulièrement.