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vont s’ouvrir ? À vrai dire, c’est là le doute le plus grave aujourd’hui : avec ou sans le concours de la Prusse, que sortira-t-il de ces négociations ? Nul ne semble fort empressé de les commencer, tant on a peu de foi en leur efficacité, tant on redoute peut-être de voir la première explication devenir le signal d’une rupture nouvelle. L’acceptation des quatre garanties par la Russie ressemble étrangement à quelqu’une de ces habiletés par lesquelles elle a su déjà plus d’une fois troubler la défense de l’Europe. Supposez qu’elle n’ait eu d’autre but que de rejeter l’Allemagne dans l’incertitude : elle y a réussi en partie pour le moment ; elle a offert à la Prusse un prétexte pour empêcher la mobilisation des contingens fédéraux, et comme d’un autre côté sa situation militaire ne s’est point aggravée, il est fort douteux qu’elle ait accepté sérieusement, qu’elle accepte encore le principe de l’abolition de sa prépondérance dans la Mer-Noire. Quelque faibles que soient cependant les chances de la paix, il n’est pas moins nécessaire que ces négociations s’ouvrent, afin de montrer ce qu’elles cachent, ce qu’elles signifient, afin que l’inutilité des conférences, si la paix ne se peut conclure, dissipe toutes les illusions, mette l’Allemagne et la Prusse en demeure de faire un choix, transforme en une réalité sérieuse et efficace l’alliance de l’Autriche, de l’Angleterre et de la France, et devienne le principe même de la confédération de l’Europe, coalisée pour sa sécurité et pour son repos.

Certes, s’il est un spectacle saisissant au milieu de telles conjonctures, c’est celui qu’offre en ce moment l’Angleterre, et ce spectacle est curieux non-seulement au point de vue de l’état actuel des affaires générales de l’Europe, mais encore comme indice des conditions intérieures des partis. Un ministère se dissout, un ministère nouveau se forme : quelle est au fond la véritable pensée de tous ces changemens ? C’est un sentiment d’amertume patriotique excité par les désastres de l’armée anglaise de Crimée, joint au désir de voir la guerre prendre un caractère nouveau de décision et de vigueur. Le nom de lord Palmerston a eu la singulière fortune de devenir le drapeau de tous ces sentimens et de tous ces désirs. Est-ce à dire que, membre de l’ancien cabinet, lord Palmerston l’ait troublé de ses dissentimens ? Il n’en est rien ; lord Palmerston a eu la plus grande des habiletés, il s’est tu. Il affectait même, dit-on, de se renfermer dans les affaires spéciales de son département. Au dernier moment encore, il combattait la motion de M. Roebuck, et il en venait à traiter assez aigrement lord John Russell, dont la démission frappait de mort le ministère. Il n’en est pas moins vrai que, quand le cabinet a reçu le dernier coup dans la chambre des communes, lord Palmerston s’est trouvé désigné par tout le monde comme l’homme qui pouvait relever les affaires de la guerre par l’impulsion de sa volonté, et c’est ainsi que s’est formée sa candidature au poste de premier ministre. Ce n’est point chose facile d’ailleurs depuis longtemps que de créer un ministère en Angleterre. Au milieu de tous les services que l’illustre Robert Peel a rendus à son pays, il a contribué plus que tout autre à une dissolution véritable des anciens partis. Entre les opinions anciennes, il s’est formé une fraction puissante par l’intelligence et par le talent, qui ne se suffirait pas elle-même au pouvoir, mais avec laquelle il est fort difficile de ne pas compter. Il en résulte que les cabinets de coalition sont en quelque sorte la condition forcée de cette situa-