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les efforts qu’a faits ou que ferait encore la chimie pour s’élever hors de son niveau, pour sortir de son domaine. Là où elle commande légitimement et où son autorité est réelle, les particules matérielles ne trompent pas sa vigilance ; elle mesure, elle pèse, elle connaît les proportions, elle prévoit les combinaisons qui se font et celles qui vont se défaire ; sa vue est nette, sa main est sûre, son empire est déterminé. Mais dans le milieu vivant toutes ces qualités qu’elle possède à un degré si éminent tournent contre elle : ce qu’elle veut mesurer ou peser n’est ni mesurable ni pondérable ; ce qu’elle veut assujettir à des proportions a pour caractère d’en changer sous les moindres influences ; ce qu’elle veut prévoir n’est pas susceptible de prévision par le côté chimique. Et si l’on veut prévoir, mais alors prévoir avec moins de sûreté et d’étendue que ne fait la chimie dans son domaine, vu qu’il s’agit de choses plus compliquées que les choses chimiques, c’est à la biologie qu’il faut s’adresser.

De déduction en déduction le lecteur est arrivé au point où il touche du doigt la différence radicale entre la matière brute et la matière vivante. La matière brute est inanimée, en ce sens qu’aucun mouvement intestin ne s’y manifeste et que rien n’y afflue et rien n’en sort, molécule à molécule. La matière organique est animée, en ce sens que les particules en sont soumises à un flux incessant, que l’une arrive et l’autre s’en va par un travail simultané qui est à la fois composant et décomposant, ou, comme on dit dans le langage technique, assimilant et désassimilant. C’est là la propriété qui caractérise toute vie et qui en est le fondement ; mais, bien entendu, cette propriété est inconnue dans son essence, car, je l’ai déjà dit et ne crains pas de le redire, tant la chose me paraît philosophiquement importante, la science, arrivée à l’âge adulte, renonce à toute enquête sur l’intimité de cette propriété, qui est pour elle une cause première, au même titre que la gravitation l’est pour l’astronome, le calorique pour le physicien, l’affinité pour le chimiste. Justement même, en raison de cette sage renonciation qui abandonne les nuages pour les réalités, elle pénètre avec ardeur et succès dans les conditions de chacune de ces forces de la nature, eu détermine les modes, les réduit en théorie et les livre, ainsi théorisées, à tous les besoins des arts et de l’industrie. Ou remarquera que la substance vivante, douée de cette propriété qui l’anime, se présente avec une constitution qui lui est propre et qui ne se trouve en nulle autre ; car ces deux choses sont ici connexes : la propriété et la constitution. Ainsi, avec la forme de tissu végétatif (donnant ce nom à ce qui n’est ni muscle ni nerf), une seule propriété se manifeste, c’est celle de la nutrition (la génération n’en est qu’un cas particulier). Avec une forme différente, la nutrition restant toujours active (c’est,