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et dont la rigueur dut être tempérée dès l’abord; mais elle avait l’avantage d’être un point de départ. C’était un terrain où on pouvait se donner rendez-vous pour agir.

Après trois débats mémorables et six années d’études, la législation des chemins de fer était donc créée en France. Des abîmes nous séparent aujourd’hui des discussions de 1842, de 1838, de 1837. Sur la question technique, l’ère des grandes exploitations a livré aux regards de l’économiste et de l’homme d’état des faits nombreux et des expériences décisives. Il est beaucoup d’opinions qui ne seraient plus avouées aujourd’hui par ceux-là mêmes qui les émettaient naguère avec le plus d’assurance. Sous le rapport politique, la situation est encore plus profondément changée : les préoccupations, les intérêts, les calculs secrets ou visibles du temps ont disparu de la scène. Après les commotions politiques que nous avons éprouvées, les hommes même sont pour la plupart méconnaissables. Il n’est pas besoin d’un grand effort pour juger avec impartialité l’attitude qu’avaient prise et le gouvernement et l’opposition. Sur un terrain où la nouveauté du sujet rendait faciles certaines illusions, la position du gouvernement était beaucoup plus favorable que celle de ses adversaires. D’abord il possédait des moyens d’information plus sûrs, puis il proposait d’agir, tandis qu’en face de lui on s’efforçait le plus souvent d’ajourner les actes. C’est en 1837 que le gouvernement fait la partie la plus belle à l’opposition, alors que les projets de loi pleuvent au hasard sur l’assemblée stupéfaite. En 1838, si le ministère a le tort de vouloir englober tout le réseau national dans les mains de l’état, il rachète bien vite cette erreur en offrant une transaction qui satisfait aux nécessités présentes sans compromettre l’avenir. L’opposition obéit à des sentimens étrangers à la question, contraires au bien du pays, quand elle rejette en bloc le projet ministériel. En 1842, la solution proposée par le ministère est meilleure que le projet rétréci en faveur duquel l’opposition brûla sa dernière cartouche. Ainsi, sur les trois épreuves que la question générale des chemins de fer a subies pendant la durée de la monarchie de 1830, le gouvernement eut au moins deux fois la raison de son côté. Quant aux débats jugés en eux-mêmes, c’est en 1838 qu’ils revêtent le caractère le plus général et qu’ils ont la plus haute portée. En 1837, personne n’avait encore suffisamment étudié le problème à résoudre, et en 1842 le débordement des intérêts locaux imprime aux délibérations un cachet qui les amoindrit.

Ces discussions longues et répétées, ces tiraillemens en des sens opposés attestaient que, soit par la faute des hommes, soit en raison de la situation même, l’unité faisait ici défaut dans la direction des forces vives du pays. Il nous reste à voir quels faits cependant ont pu se produire, quels résultats positifs ont été obtenus sous le gouvernement de juillet, c’est-à-dire à mesurer la part réelle que l’histoire doit faire à ce gouvernement dans l’exécution des voies ferrées.


III. — L’EXECUTION, LES CRISES ET LES PREMIERS RESULTATS.

L’esprit de système, qui s’était manifesté dans les discussions relatives au mode d’exécution de nos chemins de fer, et qui s’accordait, il faut le dire, avec diverses tendances du caractère français, s’introduisit dès l’origine dans