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remplacer le réseau par un seul chemin de Lille et Valenciennes à Marseille «t à Cette par Paris, était prématurée et peu habile. Elle confondait le classement des lignes et le vote des fonds, comme s’il n’avait pas été possible, tout en arrêtant en principe la construction d’un réseau, de n’affecter ensuite des crédits qu’à un seul chemin. Cet amendement, dont M. de Mornay avait pris l’initiative, impliquait le rejet absolu de toute classification. « C’était (comme le disait M. Legrand, devenu sous-secrétaire d’état aux travaux publics, et qui se résignait au système mixte du projet à cause de la très grande part attribuée au gouvernement), c’était se refuser à marquer, dans le présent et dans l’avenir, quelle serait la direction des efforts de la France. » On comprit sans peine, même sur les bancs de l’opposition, que l’amendement de M. de Mornay, vainement adouci par un sous-amendement, aurait pour résultat de mécontenter un grand nombre de localités en leur enlevant une satisfaction impatiemment attendue. L’amendement fut rejeté, et le principe d’un réseau se trouvant implicitement admis, les ambitions de chaque district purent se donner carrière. Ce fut un débordement général. Point de représentant qui ne tint à faire preuve de dévouement aux intérêts de son collège[1]. L’influence à laquelle on se laissait emporter sur les bancs parlementaires, et qui rendait si difficile, au milieu des ardeurs de la mêlée, de régler l’ordre même des délibérations, fut mise à nu par un mot échappé à un député qui n’y entendait pas malice. Comme on discutait sur le tracé de la ligne de Bourges, M. Durand (de Romorantin) proposa de dire par Romorantin. M, Durand ne faisait qu’obéir à la même inspiration que bon nombre de ses collègues, et ce n’était pas sa faute s’il était député de Romorantin, au lieu de tenir son mandat de telle ou telle autre cité plus illustre. Au lieu de provoquer l’hilarité, la motion aurait dû, sous sa forme un peu pittoresque, éveiller l’attention de l’assemblée sur les empiétemens, de plus en plus regrettables, du patriotisme de clocher.

La discussion, dont le niveau s’était abaissé, ne reprit de la grandeur qu’au moment où l’on aborda le mode d’exécution. Le système qui attribuait à l’état une si large part ne s’accordait guère avec les vues émises soit en 1838, soit dans diverses circonstances postérieures. En 1840 notamment, la majorité, appelée à se prononcer sur quelques propositions isolées, avait paru poser en principe que le gouvernement ne devait entreprendre des chemins de fer qu’à défaut de l’industrie privée, sur les points où l’établissement en était réclamé par des intérêts réels. Aujourd’hui le projet ministériel s’écartait beaucoup de cette pensée, et il était impossible de l’en rapprocher à

  1. Dans ce flot de motions qui auraient dénaturé le projet de loi, si elles avaient été acceptées, il en est quelques-unes cependant qui se distinguaient des autres par une portée plus haute et qui méritent une mention particulière. L’une des plus dignes d’examen, ce fut l’amendement de M. Muret de Bort en faveur d’un chemin vers les frontières d’Espagne par les plateaux du centre, au lieu du chemin par Tours, Poitiers, Angoulême, Bordeaux et Bayonne. Cette proposition, que l’intérêt de la ligne de Bordeaux ne permit pas d’accepter, provoqua du moins un débat utile qui répandit de vives clartés sur l’état économique trop peu connu de la France centrale. Un mobile plus élevé que l’intérêt local recommandait aussi la motion de M. de Carné, tendant à ce que le point extrême de la ligne sur l’Océan par Nantes fût fixé à Brest.