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assumait sur soi-même. Quant au fardeau mis au compte des localités, et qu’on portait à une moyenne de 24,000 francs par kilomètre, un des principaux avantages qu’on y avait vus, c’était que ce mode engagerait les jurys locaux à restreindre dans de justes bornes l’estimation des terrains.

Les grandes lignes, les lignes qualifiées de lignes gouvernementales et classées dans le projet, partaient de Paris et se dirigeaient vers la frontière de Belgique, vers le littoral de la Manche, vers la frontière d’Allemagne par Strasbourg, vers la Méditerranée par Marseille et par Cette, et vers l’Océan par Bordeaux et Nantes[1]. Si vaste que fût ce système, ce n’était pas son étendue qui, dans les dispositions où se trouvaient les esprits en 1842, devait soulever des critiques. Le projet sortit même assez notablement agrandi des délibérations de la commission nommée par la chambre élective. On y ajouta la ligne de la Méditerranée au Rhin par Lyon, Dijon et Mulhouse, et celle d’Orléans sur le centre de la France, ainsi que le prolongement de Bordeaux à Bayonne, sans parler d’un autre prolongement de Toulouse à Marseille. Le crédit demandé par le ministère pour les deux premières années fut ainsi porté de 33 millions 50,000 francs à 42 millions 500,000 francs, et le chiffre total de la dépense prévue, de 400 à 600 millions.

A l’encontre de cette propension à élargir le cercle des chemins classés, il s’en produisit, dans le cours des débats, une autre complètement opposée qui voulait concentrer sur une seule ligne toutes les forces disponibles du trésor. Cette motion allait former le côté le plus vif et le plus neuf de la discussion en 1842. Le rapport que M. Dufaure fut chargé de présenter au nom de la commission se distinguait à la fois par des vues solides et par la vivacité avec laquelle s’y exprimait le désir de voir enfin commencer une œuvre trop longtemps différée. La commission avait unanimement formulé le vœu que la création d’un réseau de chemins de fer fût considérée sur tous les bancs de la chambre comme une grande œuvre nationale et en dehors des querelles ordinaires des partis. Quelques détracteurs envieux du rôle de la capitale avaient plus d’une fois prétendu qu’on sacrifiait la France à une seule ville en fixant à Paris le point de départ du plus grand nombre des chemins : on ne faisait pourtant que reconnaître ainsi le travail de plusieurs siècles qui avaient formé la capitale de la France pour le profit de la patrie tout entière.

La discussion générale fut écoutée avec distraction par la chambre. Le sujet manquait de nouveauté; les questions fondamentales étaient sinon résolues, du moins éclaircies. De plus on se réservait pour la lutte, soit sur le parcours des divers chemins, soit sur la ligne unique opposée aux lignes simultanées. Comme les questions se groupaient autour de deux sujets principaux, d’une part le classement et le tracé des chemins, d’autre part l’exécution et les moyens financiers, la discussion forma pour ainsi dire deux grands actes. On trouva moyen de reproduire dans l’un et dans l’autre le système de la ligne unique; mais la première proposition, tendant à

  1. La ligne de Paris au Havre ne figurait pas dans ce plan; le chemin de Paris à Rouen ayant été déjà concédé à une compagnie, le gouvernement considérait qu’il appartiendrait naturellement à cette compagnie de prolonger le railway jusqu’au Havre.