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question des chemins de fer, il n’est pas difficile de reconnaître qu’une solution exclusive, soit dans un sens, soit dans un autre, était également erronée. Dans l’état de la France, de ses idées, de ses habitudes, avec les institutions spéciales qu’elle possède en matière de travaux publics, avec l’inexpérience de l’esprit d’association, c’était un rêve que de repousser absolument l’intervention de l’état. Dans toutes les grandes affaires, la France a coutume de voir agir son gouvernement, c’est-à-dire de compter sur l’appui de cette unité morale qui sert à concentrer les forces éparses du pays. Est-ce un mal ? Ici, comme en tout, l’excès est possible, et certes cette disposition de l’opinion publique serait extrêmement funeste, si elle allait jusqu’à étouffer l’initiative individuelle. Contenue dans de sages limites, il peut au contraire en résulter et il en résulte effectivement de grands biens. Dans tous les cas, il y avait là un fait, un fait palpable, dont il était nécessaire de tenir compte. Seulement la masse des dépenses à effectuer ne permettait pas non plus d’en charger le trésor seul, à moins de renvoyer l’achèvement de nos grandes lignes à une époque beaucoup trop lointaine. Ce n’est pas que notre situation financière fût aussi inquiétante qu’on le prétendait : nos finances ont une élasticité que des faits ultérieurs ont mise hors de doute; mais la France ignorait l’étendue de ses ressources, et dans l’état du crédit des opérations trop hardies n’auraient pas manqué de répandre l’effroi. Au point de vue politique, n’était-il pas utile d’ailleurs d’intéresser la masse des petits capitalistes dans des entreprises pour lesquelles le maintien de la paix sociale est une condition absolue de succès ? Rien ne pouvait enfin être plus favorable au développement de la puissance économique du pays que les encouragemens donnés aux entreprises particulières. Dans le cours de la discussion, quand M. Billault revendiquait le droit de l’industrie privée fécondée par l’association, opposant ce droit à la prérogative de l’état exaltée comme un axiome par M. de Lamartine, il invoquait la meilleure raison peut-être pour que le gouvernement n’assumât pas seul l’accomplissement de la tâche. Aucune objection sérieuse n’était possible d’ailleurs contre son intervention limitée. Le mal ne pouvait être grand, aux yeux mêmes des partisans les plus déclarés de l’industrie privée, si l’état exécutait un ou deux chemins. Pour le moment, l’essentiel, c’était qu’on se mit à l’œuvre. Satisfaite du sacrifice que le gouvernement avait consenti et laissant de côté ses préoccupations politiques, l’opposition aurait dû voter au moins le chemin de la Belgique. Elle se serait honorée et fortifiée par un tel acte, car la meilleure preuve que les partis, comme les hommes, puissent donner de leur énergie, c’est de montrer qu’ils savent maîtriser leurs propres entraînemens. On sait ce qui arriva : tous les articles du projet furent successivement repoussés, et l’ensemble rejeté ensuite de la façon la plus dédaigneuse. Triste exemple des abus que peut occasionner le jeu des majorités parlementaires!

Malgré le complet avortement de cette loi, qui s’était annoncée comme devant former la grande charte des chemins de fer, la discussion n’avait pas été stérile. Un résultat était acquis, un résultat qui nous portait fort loin de ces formules absolues dont étaient empreints et le premier exposé ministériel et le rapport de M. Arago. On ne savait encore sous quelle forme on réussirait à concilier l’action du gouvernement et l’action des compagnies; mais