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perfectionne, pourquoi exprimait-il cette idée que, dût le gouvernement rester chargé de l’exécution des grandes lignes, le classement proposé ne pouvait être adopté, parce qu’il ne permettait pas de profiter des découvertes, des perfectionnemens ultérieurs ? Les chemins de fer attendront probablement, tant qu’ils existeront, des améliorations. Où en serions-nous si nous avions voulu posséder le dernier mot de la science avant de l’appliquer sur une grande échelle ? On avait reproché au gouvernement de pencher trop d’un côté, et voilà que, par une inconséquence trop fréquente dans l’histoire des partis politiques, on se jetait complètement de l’autre. A une solution étroite et absolue on opposait une autre solution non moins absolue et non moins étroite.

Le débat entre les deux systèmes ne pouvait être du reste plus nettement posé qu’il ne l’était. Durant tout le cours de cette mémorable discussion, où la plupart des orateurs mirent tant de soin à cacher le mobile politique qui agitait le fond des âmes, la question de l’exécution par l’état et de l’exécution par les compagnies occupa seule toute la scène. Après avoir réduit autant qu’il l’avait fait le concours de l’industrie privée dans son exposé des motifs, M. Martin (du Nord) dut se trouver un peu gêné pour proposer une transaction. Il déclara pourtant que l’état ne revendiquait pas d’une manière également inflexible les quatre lignes pour lesquelles des crédits avaient été demandés. Le chef du ministère, M. le comte Molé, détermina en des termes plus clairs sur quel terrain la conciliation pouvait s’opérer. On n’a point oublié avec quel bonheur d’expression M. le comte Molé, en se déclarant prêt à accepter le concours des associations privées, rappela qu’il avait regretté de ne pas avoir eu un pareil concours au début de sa carrière, à une époque de glorieuse, d’immortelle mémoire, alors qu’il avait dans les mains la direction des travaux publics, de ces grands ouvrages qui s’exécutaient depuis Rome jusqu’à Hambourg. Il acceptait effectivement ce concours, au moins pour les chemins d’Orléans et de Rouen, et ne réclamait pour l’état que l’exécution de la ligne de la Belgique, dont l’urgence était incontestable, et de celle d’Avignon, où le terrain présentait des difficultés extrêmes. Comme il ne restait plus rien dès lors de la raideur de l’exposé des motifs, un accord devenait facile. Deux ans après ce débat, en 1840, sous le ministère du 1er mars, le ministre des travaux publics, M. le comte Jaubert, présentant quelques projets de loi relatifs à différens chemins de fer, disait qu’en 1838 on était unanimement d’avis que ni l’état ni l’industrie particulière ne pouvaient s’emparer exclusivement des voies ferrées. C’était rappeler un fait vrai; mais c’était aussi avouer implicitement que des considérations étrangères au sujet même avaient seules empêché de s’établir l’entente proposée par le ministère du IS avril. La majorité de 1838 fut implacable. Vainement le ministre des finances, M. Lacave-Laplagne, essayait de rassurer la chambre sur les ressources du trésor; on ne voulait pas être rassuré. Vainement M. de Lamartine, qui défendait l’idée de l’exécution par l’état, sans s’attacher pourtant au projet ministériel, cherchait au contraire à effrayer l’assemblée sur les dangers de l’agiotage et sur le despotisme des compagnies; on ne voulait pas avoir peur.

Aujourd’hui que des expériences répétées ont singulièrement éclairé la