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dans les plus profondes retraites de la vie, le mouvement de désassimilation, non moins aveugle, mais ici salutaire, l’arrache de ces retraites et le chasse de la même façon qu’il avait été introduit. Ainsi toutes ces combinaisons que nous avons dit faire le fondement de la vie sont instables et mobiles ; elles sont, il est vrai, chimiques dans leur forme et dans leur condition, mais elles se pressent, elles se changent, elles se font et se défont par une cause supérieure qui n’est pas la chimie.

C’est dans cette cause supérieure qu’est le point inaccessible à la chimie. En vain réussirait-elle (et elle n’y réussit que dans des cas excessivement rares et excessivement simples) à reproduire de toute pièce dans son creuset les substances organiques : elle ne pourrait pas pour cela, j’allais dire les animer, elle ne pourrait pas du moins y déterminer le mouvement qui sans cesse les combine et les décombine. Moins heureuse que le Salmonée de Virgile, qui, se complaisant au vain bruit imitateur du tonnerre,

…nimbos et non imitabile fulmen
Ere et cornipedum pulsu simularat equorum,


elle ne peut ni faire ni se faire aucune illusion sur la nature de ses produits. Au-dessus d’elle se passe le courant de toutes ces transformations. Elle est la servante industrieuse qui compose et décompose, suivant, il est vrai, des règles qui lui sont propres, mais d’après une impulsion qui lui est tout à fait étrangère. Abandonnée à elle-même, elle arriverait bientôt au terme, et ne tarderait pas à changer tous ces composés mobiles, qui sont ceux de la vie, en composés fixes, qui sont les siens à elle. Chaque fois d’ailleurs que, voulant s’arrêter, elle manie tous les principes immédiats dont la réunion constitue le corps, elle les voit échapper de ses mains impuissantes à les retenir. Elle serait tentée de leur reprocher cette fuite rapide, et de leur demander pourquoi ils s’empressent tellement de se fondre, de se liquéfier, de se solidifier, sans qu’elle, ait le temps de leur assigner ces proportions définies, ces quantités bien limitées qui sont son triomphe et sa gloire dans le règne inorganique. Avez-vous vu jamais un enfant dont le doigt indiscret, maniant un baromètre, a cassé le tube et laissé échapper le mercure ? Désireux de réparer hâtivement sa faute, il s’empresse après le métal qui s’est répandu ; mais vaine poursuite ! il le saisit, le serre entre les doigts et espère le rapporter peu à peu dans le réservoir ; à chaque fois il n’a fait que le partager en globules plus petits et plus roulans, jusqu’à ce qu’enfin, désespérant de réussir, il en considère d’un œil dépité la fuite et la dispersion. Il faut comparer aux efforts de cet enfant tous