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l’unanimité. Dans le cours des neuf séances suivantes, qui furent toutes présidées par le ministre lui-même, les plans préparés sous la direction de M. Legrand sortirent à peu près intacts des délibérations de la commission. M. Legrand doit être regardé comme le véritable auteur du projet si vaste, si homogène, mais si inflexible, qui fut présenté à la chambre des députés dès les premiers temps de la session de 1838.

Cette fois il n’était plus possible de reprocher au ministre des travaux public d’avoir manqué de vues d’ensemble. Au lieu de chemins épars sans rapport les uns avec les autres, le projet embrassait la France tout entière. Attribuant à l’état l’exécution de toutes les grandes lignes, il ne laissait aux compagnies que les chemins d’embranchement ou ceux d’une importance secondaire. Les lignes classées étaient celles de Paris à Rouen, au Havre et à Dieppe; à la frontière de Belgique par Lille et par Valenciennes avec embranchement sur Abbeville, Boulogne, Calais et Dunkerque; à la frontière d’Allemagne par Nancy et Strasbourg avec embranchement sur Metz; à Lyon et Marseille avec embranchement sur Grenoble; à Nantes et à la frontière maritime de l’ouest par Orléans et Tours; à la frontière d’Espagne par Orléans, Tours, Bordeaux et Bayonne; à Toulouse par Orléans et Bourges; enfin les deux lignes de Bordeaux à Marseille par Toulouse, avec embranchement sur Tarbes et sur Perpignan, et de Marseille à la frontière de l’est par Lyon, Besançon et Baie. Ce réseau offrait un développement d’environ 4,400 kilomètres; mais l’exécution n’en devait être que partiellement entreprise. Si on avait déterminé avec tant de précision le parcours de chemins indéfiniment ajournés, c’était visiblement parce qu’on avait tenu à donner au moins des espérances là où les effets devaient le plus longtemps se faire attendre. Il y avait pourtant un écueil dans une telle méthode. Le projet allait prêter le flanc à cette objection, qu’en réservant à l’état un si énorme faisceau, on lançait le trésor dans des entreprises écrasantes. La première impression était produite quand le ministre se restreignit ensuite à moins d’un tiers du réseau et d’un tiers de la dépense. Après les mécomptes si considérables qui avaient signalé à une autre époque l’exécution des canaux, les esprits étaient d’ailleurs très sceptiques à l’endroit des devis officiels. Les évaluations du ministère, qui ne portaient la dépense totale qu’à un milliard, étaient en effet démesurément au-dessous des exigences véritables.

Les quatre lignes de Paris en Belgique, de Paris à Rouen[1], de Paris à Bordeaux et de Lyon à Marseille étaient les seules qu’on dût commencer tout de suite; encore sur les deux derniers chemins ne devait-on attaquer d’abord que les sections de Paris à Orléans et de Marseille à Avignon. Si la ligne de Paris au Rhin avait trouvé place dans ce premier classement, les choix du ministère eussent été à l’abri de toute attaque sérieuse.

Ce système si absolu de l’exécution par l’état, dont le ministère du 15 avril saisissait la chambre, ne se trouvait-il pas en contradiction avec celui que le même cabinet avait présenté l’année précédente ? Ses adversaires ne se

  1. Le tracé proposé alors pour le chemin de Rouen n’est pas celui qu’on a exécuté depuis en passant par la vallée de la Seine ; il suivait les plateaux et passait par Saint-Denis, pontoise et Gisors.