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Ce débat est très loin d’être simplement un débat d’attributions, en ce sens qu’il soit peu important de décider à laquelle des deux sciences l’étude des principes immédiats sera dévolue, étant de nature à être aussi bien traitée par l’une que par l’autre. Non, la solution sera toute différente suivant la juridiction devant laquelle la cause sera portée. En effet, si les principes immédiats relèvent de la chimie, comme en définitive c’est dans leur intimité que se passent les phénomènes essentiels à toute vitalité, à savoir ceux de la nutrition, il faudra bien convenir que ces phénomènes appartiennent à cette science. Dès lois la nutrition devient un cas chimique ; il y a empiétement d’une science inférieure dans une science supérieure, introduction de lois relativement plus grossières en des phénomènes relativement plus délicats et plus compliqués. Si la chose est possible, c’est un bien, car on réduira les difficultés, la chimie étant une science plus simple que la biologie. Si au contraire la chose est impossible, les efforts seront sans doute en pure perte, mais fourvoieront pour un temps les esprits, et, pour ce temps, abaisseront la dignité de la science. Je m’explique, car je ne voudrais pas qu’on vit dans cette expression une intention de rehausser une science aux dépens d’une autre ; elles se valent toutes, et dans leur ensemble hiérarchique elles forment un tout parlait où l’on ne peut ôter une pierre sans ruiner l’édifice, — l’édifice, qui est le système de la vraie philosophie. Mais dans ce système, justement parce qu’il est hiérarchique, parce que les sciences se supposent l’une l’autre, ne pouvant se développer que l’une après l’autre, le plus grand méfait théorique que l’on puisse commettre, c’est d’importer la méthode de la science inférieure dans la science supérieure. On peut, si l’on veut, prendre pour exemple cette tentative qui n’est pas loin de nous, et par laquelle on assimilait le principe de vie au principe électrique, l’électricité devenant dans le corps vivant un prétendu fluide nerveux qui n’est pas suffisamment expulsé, et qui hante encore plus d’une intelligence. De la sorte, un agent aussi universel que l’électricité, dont aucune particule de matière n’est privée, se trouverait, par surcroît, limité au service d’une substance aussi circonscrite dans sa masse que l’est la substance organique ! Un agent aussi simple dans son opération produirait les phénomènes si compliqués de la vie ! Un agent, si visiblement physique en ses effets, pourrait assez se transformer pour animer le corps vivant d’instincts, de sensations, de passions, d’intelligence ! Il y a constamment eu des protestations contre de pareilles conséquences. Importer les procédés d’une science inférieure dans une science supérieure séduit toujours quelques esprits par une apparence positive, attendu qu’on applique ce qu’on sait mieux à ce qu’on sait moins ; mais ce n’est qu’une apparence, car là est une lacune dont on ne tient