Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

promesse d’une intervention auprès du tsar. Elle envoya, pendant ce court espace, jusqu’à cinq députations avec des suppliques pressantes. Elle croyait que le renversement de Gustave IV changerait les dispositions de l’empereur Napoléon à son égard : dans son espoir, elle accueillait avec de publiques démonstrations de joie la nouvelle des victoires remportées par nos armes sur l’Autriche ; mais il n’était plus temps de réparer tout le mal qu’avaient causé l’obstination et l’aveuglement du roi déchu.


« Je ne puis rien faire pour le moment en faveur de la Suède (dit Napoléon à l’un de ces envoyés suédois, le comte Robert Rosen, qu’il reçut à Donauwert le 18 avril 1809, un mois après la révolution). Je suis obligé de traiter la Russie avec beaucoup de précaution à cause des dangers qui m’entourent. Emporté dans une guerre sérieuse contre l’Espagne, je commence une lutte incertaine contre l’Autriche, qui m’a pris au dépourvu. Il y a quatre-vingt mille Russes postés sur la frontière de Gallicie. Les traités de Tilsitt et d’Erfurth me lient à l’empereur Alexandre, et m’obligent aux plus grands égards envers lui, comme envers un ami et un allié… Votre dernier roi m’a fait beaucoup de mal. Son opposition a été pour moi comme un déficit de cent mille hommes dans mon armée. J’ai été forcé d’avoir trente mille hommes sur mes derrières, tandis que les Russes auraient été obligés de faire avancer cinquante mille hommes contre vous !… Pour peu que votre roi eût eu quelque génie militaire, il aurait pu me faire beaucoup de mal… Avant Tilsitt, j’ai tout fait pour le gagner ; j’étais à genoux devant votre roi pour l’engager par mes offres à relever la Suède, à en faire de nouveau une grande puissance. Je combattais contre les ennemis héréditaires de la Suède, contre la gigantesque puissance qui vous menace de si près ; je me battais pour le rétablissement, pour l’intégrité de la Pologne, et la Suède s’est déclarée contre moi !… Dans quel moment !… Unis, nous aurions changé la face du monde ; mais maintenant quelle différence ! »


Napoléon ajouta :


« Je ne puis que vous donner amicalement aujourd’hui trois conseils : faites la paix avec la Russie aussi promptement que vous le pourrez, — que votre gouvernement soit d’accord avec la diète qui va s’assembler, — et donnez la couronne au duc-régent, laissez-lui le soin de choisir l’héritier du trône. Il faut que ce soit un homme qui, par ses qualités, convienne à une nation courageuse. Je ne connais pas de prince allemand que je puisse vous recommander ; cherchez celui qui, sous tous les rapports, puisse être digne de votre choix. Si vous montrez un grand caractère dans le même moment où vous vous êtes délivrés de la servitude sous un roi qui était fou, la Russie y regardera certainement à deux fois avant de vous attaquer[1]. »

  1. Traduit du suédois. Voyez les curieux mémoires, publiés tout récemment en Suède, du colonel B. von Schinkel, par les soins de M. G. W. Bergman, t. I-V ; Stockholm, 1852-54.