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visage pâle et défait, et dit à l’impératrice quelques mots bas à l’oreille. Catherine se leva tout à coup, voulut parler, mais s’évanouit. Quelque temps après, elle put se retirer, et l’on congédia la cour sous le prétexte que Gustave s’était senti tout à coup indisposé. Quand la vérité fut connue, il n’y eut pas assez d’étonnement pour l’audace de ce petit roi de Suède ni assez de colère contre son insolence. La seule Alexandra montra une douleur sincère, fondit en larmes et fut pendant plusieurs jours accablée de chagrin.

Catherine ne fit plus que languir après l’injure publique qu’elle avait reçue. On la vit rechercher la solitude et s’enfermer quelquefois presque seule dans son palais de Tauride. Son hydropisie augmentait chaque jour. En vain ses flatteurs faisaient-ils transformer à grands frais leurs escaliers en rampes douces et tapissées, afin qu’elle vînt assister à leurs fêtes; en vain le pirate Lambro-Cazzioni, qui avait été son bouffon, voulait-il être son médecia et allait-il lui-même chercher de l’eau de mer pour lui faire prendre chaque jour des bains de pied froids et salés : ces flatteries impuissantes ne prévalurent pas contre le sentiment de son humiliation. La contrainte qu’elle s’imposa pour dissimuler son mal l’accrut encore; quelques revers des Français en Allemagne lui apportèrent seuls un peu de consolation. Le 5 novembre de cette même année, après deux mois de souffrance, elle fut frappée d’une attaque d’apoplexie; on la trouva étendue sans connaissance dans un corridor voisin de son alcôve; elle vécut trente-sept heures dans une sorte de léthargie; enfin, vers le soir, après un râle horrible, elle poussa tout à coup un grand cri, qui répandit l’effroi dans le palais, puis expira. La tsarine avait payé de sa vie ses funestes intrigues, et le jeune Gustave IV avait vengé, sans le vouloir, son père et sa patrie. Catherine II était morte de dépit pour avoir deux fois échoué dans ses entreprises sur la Suède; mais l’ambition insatiable qui l’avait rendue la plus redoutable ennemie de cette nation était un héritage qu’elle avait reçu de Pierre le Grand et qu’elle avait transmis à son successeur. Aussi la lutte acharnée qui s’était engagée entre la Suède et la Russie depuis le temps de Charles. XII n’était-elle pas terminée; la conquête de la Finlande en fut le dernier et le plus triste épisode.


III.

La Russie n’avait pas cessé de convoiter la Finlande, dont la possession lui était si nécessaire pour couvrir sa capitale, pour lui procurer des matelots et pour dominer sur la Baltique. La rivalité de Napoléon et de l’Angleterre lui procura l’occasion qu’elle épiait depuis Pierre le Grand. Les deux empereurs s’étaient alors unis par