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longtemps; mais ce jour fut au contraire pour la fière impératrice un jour d’humiliation qui creusa son tombeau.

Toute la cour avait reçu l’ordre de s’assembler en grande cérémonie dans la salle du trône pour assister aux fiançailles royales. Dès sept heures du soir, la famille de la grande-duchesse, la grande-duchesse elle-même en brillante parure, toutes les dames et les cavaliers et les principaux officiers de l’empire étaient déjà réunis. L’impératrice, radieuse, entra dans la salle avec un éclatant cortège. Quand elle eut pris place, tous les regards se tournèrent vers la grande Porte pour voir entrer le roi de Suède et sa suite; mais, après que quelques instans se furent écoulés dans un profond silence, comme le roi de Suède ne paraissait pas, des signes d’étonnement, puis d’impatience parurent sur le visage des chambellans qui entouraient l’impératrice; l’inquiétude devint bientôt générale. Le roi était-il tombé subitement malade ? Quelle cause imprévue pouvait l’arrêter quand la souveraine était déjà assise sur son trône devant toute la cour assemblée, quand sa fiancée l’attendait ? Plusieurs entrées et sorties du prince Zoubof, l’émotion qui commençait à se peindre sur le visage de l’impératrice et dans les regards déjà voilés de larmes de la grande-duchesse, excitaient la curiosité. Le roi si impatiemment attendu ne paraissait point.

Voici ce qui s’était passé. Il était convenu que le roi se rendrait au château à sept heures du soir. Le même jour et seulement une heure avant le rendez-vous, le ministre Markof vint apporter au roi le contrat de mariage à signer. Gustave parut étonné de la manière dont on y avait rédigé l’article de la religion; il déclara que, s’il n’empêchait pas la jeune reine de professer en particulier son culte, il ne pouvait cependant lui accorder ni une chapelle ni un clergé dans son palais; il voulait au contraire que dans toutes les cérémonies publiques et extérieures elle fit profession de la religion luthérienne. Inutilement on représenta à Gustave quel affront son refus allait infliger à l’impératrice et quelle douleur à sa jeune fiancée; en vain ceux des courtisans qui paraissaient avoir le plus de crédit vinrent-ils l’exhorter à consentir à une concession dont il ferait ensuite, disaient-ils, bon marché. Le jeune roi, montrant dès-lors cette obstination qui plus tard le perdit, répondit sèchement qu’il ne signerait pas, et finit, pour échapper à toutes les obsessions, par se retirer seul dans sa chambre, où il s’enferma à double tour. Quant au régent, on l’avait vu entretenir le prince un instant à part, il avait même paru le presser de céder; mais on ne sait réellement pas bien quelle fut sa conduite dans cette circonstance. Il était dix heures du soir, et Catherine et la cour attendaient encore. Il fallut bien leur annoncer la terrible nouvelle. Zoubof entra dans la salle avec un