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vous ai réunis, afin que nous puissions aviser, malgré tant d’obstacles, à sauver l’honneur et à sauvegarder le sol même de la patrie. » L’appui des trois ordres, du clergé, de la bourgeoisie et des paysans, rassurait seul Gustave III. Grâce à leur confiance, il crut pouvoir réparer dans la campagne de 1790 l’échec que la trahison lui avait fait subir pendant l’année précédente; il s’approcha jusqu’à quatre lieues de Saint-Pétersbourg, où les chances de la guerre et un concours de circonstances funestes l’arrêtèrent encore, et le réduisirent à conclure la paix avec la Russie.

Catherine échappait ainsi, par sa politique astucieuse et corruptrice, aux conséquences d’une lutte qui semblait devoir lui être à la fin dangereuse; elle ne se contenta pas de ce bonheur immérité, s’il est vrai, comme plusieurs témoignages semblent l’affirmer, que de l’hôtel du ministre russe à Stockholm partirent les excitations nouvelles qui aboutirent finalement au meurtre de Gustave III. S’il faut en croire une singulière tradition, la famille royale de France, alors exilée, et que Gustave projetait de ramener dans Versailles en domptant la révolution, faillit détourner le coup dont il mourut. Le comte de Provence, dit-on, entrant dans une chambre à Coblentz, aperçut un portrait du roi de Suède percé au cœur d’un coup de couteau; saisi d’étonnement par ce funeste présage, il envoya à son fidèle allié un avertissement qui arriva trop tard.


II.

La mort de Gustave III laissait la Suède dans un état bien favorable, il faut le dire, aux projets de ses ennemis : son fils, Gustave IV Adolphe, n’avait que treize ans; il arrivait au trône sous la régence de son oncle, le duc de Sudermanie; le feu roi s’était de plus déclaré l’ennemi de la France révolutionnaire. La Russie ne manqua pas d’encourager cette diversion dangereuse pour la Suède; elle demanda qu’un corps de huit mille Suédois fût envoyé en Allemagne pour se joindre aux armées russe et prussienne qui marchaient sur le Rhin. Néanmoins les véritables intérêts de la Suède étaient évidemment en désaccord avec la passion subite qui avait entraîné Gustave III dans les rangs de nos ennemis. Le régent et le conseiller Reuterholm, qui gouvernait sous son nom, résolurent de ne pas rompre avec la seule puissance sur laquelle ils pussent compter pour les préserver contre la Russie. En vain le fier et hautain comte Stackelberg, bien connu déjà par son despotisme en Pologne, fut-il envoyé à Stockholm en qualité de ministre de Russie; en vain le général Armfelt, séduit par les intrigues de ce diplomate, se fit-il le chef d’un nouveau parti russe qui entoura le régent, et prétendit appeler une escadre russe