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connu pour qu’il soit impossible qu’il leur en reste aujourd’hui le moindre doute ? Quels peuvent donc être leurs griefs contre moi, et que me demandent-ils ? S’il est question du changement qui s’est fait dans la forme du gouvernement de mon royaume, vous êtes trop juste, mon cher oncle, pour ne pas sentir que c’est une affaire qui ne peut être traitée avec les puissances étrangères. Elle a été faite et ratifiée par la nation suédoise; cette nation y trouve aujourd’hui son bonheur... Quel droit les puissances étrangères peuvent-elles donc avoir de me chercher querelle pour avoir rendu heureux mes sujets ?... Vous m’avouerez bien, mon cher oncle, que si c’est là une cause de guerre, il n’y a plus de justice dans le monde... Que gagnerais-je par des traités et des garanties avec des puissances qui ne connaîtraient d’autres droits que leurs volontés, et qui ne consulteraient que leurs forces pour les exécuter ? Avec de tels voisins, il faudrait nécessairement succomber un jour, et alors il vaudrait autant en courir les risques d’abord que d’en venir là après avoir subi l’humiliation de me laisser prescrire des lois sur la forme de l’administration de mon royaume... Mais je ne puis me mettre dans l’esprit qu’on m’attaquera au mépris de tous les principes de droit et de justice, et qu’on attaquât en même temps le droit de tous les souverains et de toutes les nations indépendantes. Je présume mieux de mes voisins, et surtout de celui qui, par les liens du sang, toujours si précieux pour lui, a tant de motifs de me soutenir contre les autres en cas qu’ils puissent concevoir des plans d’une iniquité si manifeste[1]... »


Ces dernières paroles faisaient une allusion directe à l’incroyable théorie que le prince de Prusse avait exposée à Gustave III dans une de ses lettres précédentes; ce document se trouve aussi parmi les papiers de Stockholm, et nous ne devons pas l’omettre, parce qu’il jette une lumière précieuse sur les doctrines politiques de la Prusse au XVIIIe siècle ;


<….. Vous connaissez, sire, vos intérêts et ceux des puissances qui vous environnent, en un mot le système politique de toute l’Europe. De là il est aisé de conclure qu’il n’arrive aucun changement dans un état qui n’intéresse tous les autres; il en est qui croient en profiter, tout comme d’autres s’en trouvent très lésés; c’est sur cette combinaison que sont fondées ensuite les mesures que prennent tous ces corps politiques, soit pour leur sûreté, soit pour le renversement d’un système qui leur est nuisible. Comme les souverains n’ont pas de tribunal où leur cause se plaide, ils ont le droit de se rendre justice eux-mêmes. Si plusieurs souverains sont d’accord, si les traités les unissent, la justice qu’ils se rendent devient aisée, et dans ce cas l’accommodement est l’unique chemin qui reste à la partie la plus faible. Voilà comme j’envisage l’Europe[2]... »


Cela est clair; l’intérêt particulier substitué dans la société

  1. Minute de la main du ministre comte Scheffer, avec des corrections de la main du roi, conservée aux archives du département des affaires étrangères, à Stockholm.
  2. Lettre du 7 février 1772.