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téméraire et la plus étourdie, vos fils me forcent de m’armer contre eux. Ne pensez pas que mon ambition soit tentée par ce petit bout de la Poméranie, qui certainement ne pourrait exciter au plus que la cupidité d’un cadet de famille; mais le bien de cet état exige nécessairement que je reste lié avec la Russie, et je serais justement blâmé par la postérité, si mon penchant personnel l’emportait sur le bien du peuple auquel je dois tous mes soins. Je vous dis, ma chère sœur, les choses telles qu’elles sont, et je ne pronostique que des infortunes; car, si cela en vient à une guerre comme je l’appréhende beaucoup, qui vous répondra qu’une partie de votre armée suédoise ne passera pas du côté des Russes, et qui vous garantira, que cette nation, dégradée comme elle l’est, ne leur livre pas son roi ? Enfin il y a cent malheurs de ce genre à prévoir qui me font frémir pour vous, tandis que je ne vois aucune puissance en état de vous assister et de vous secourir. Veuille le ciel que je me trompe et que vous soyez heureuse ! Soyez persuadée que personne ne s’en réjouira plus cordialement que moi, qui serai jusqu’au dernier soupir, avec autant de considération que de tendresse, ma très chère sœur, votre fidèle frère et serviteur.

« FREDERIC. »

« ….. Ne vous fiez pas sur vos Suédois, ajoutait-il dans une autre lettre (du 21 septembre); je sais qu’on murmure dans l’obscurité, qu’il y a nombre de mécontens, et qu’à la première levée de boucliers d’une puissance voisine, tous les malheurs que je vous ai prédits vous accableraient….. Ménagez la Russie, je vous le conseille en frère; ménagez-la plus que jamais, car quoi que vous disent les Français, le sort du roi de Suède est actuellement entre les mains de l’impératrice de Russie, et une vengeance différée n’est pas éteinte... »


Et, pour que Gustave ne méconnût pas le sens de ces menaces, un peu voilé encore dans ses propres lettres, Frédéric semble avoir chargé le prince Henri, son frère, de revêtir d’expressions plus énergiques et plus crues ses sentimens secrets. Les lettres du prince sont aussi conservées dans le dossier de Stockholm, en copie, il est vrai, mais sans que l’authenticité en puisse paraître douteuse. Elles complètent les témoignages que nous venons de citer et contiennent, il est permis de le croire, la vraie pensée de la Prusse, avec des aveux sur l’importance de la révolution de 1772 qu’il convient de recueillir pour apprécier sainement la politique intéressée de la Russie et de son alliée :


« ….. Il s’agit de bien discuter l’intérêt de tant de puissances, dit le prince. Tout comme il y en a qui sont attachées à la Suède et qui sans doute auront été à favoriser la révolution pour en tirer l’avantage en temps et lieu, tout ainsi il y en a d’autres qui, par leur situation, sont obligées à prévenir les desseins d’une puissance qui pourrait se servir de la Suède contre leurs intérêts. Je suis convaincu en mon particulier des sentimens du roi votre fils, je suis assuré qu’il n’a aucun dessein formé contre aucune puissance; mais avec le gouvernement d’à présent, la Suède deviendra, si