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ordres. Le ministre des finances en particulier, M. le baron Palmstjerna, le même qui venait de présenter la proposition, était en grande suspicion, non pas seulement à cause de son antipathie bien connue contre plusieurs réformes libérales adoptées récemment malgré lui, mais parce qu’on craignait que ses relations de famille avec la Russie ne pussent exercer sur ses dispositions une fâcheuse influence. M. Brinck déclara ensuite que l’exposé de motifs n’avait appuyé d’aucune raison sérieuse la demande du crédit, et qu’on soupçonnait enfin qu’un accord parfait n’existait pas sur le fond de la question entre les ministres norvégiens et les ministres suédois. Cette obscurité touchant l’un et l’autre point faisait craindre que l’emploi des fonds demandés ne fût livré à l’aventure; la chambre considérait donc qu’il était de son devoir de ne pas se montrer favorable à un ministère qui n’était pas selon ses vœux, et de ne pas voter le crédit sans connaissance de cause. On assure que le roi, après avoir écouté ce libre langage, répondit à peu près en ce sens : — Le ministère avait pu commettre quelques erreurs; le baron Palmstjerna pouvait penser à sa guise touchant la politique extérieure, qui ne dépendait pas, après tout, de sa décision; l’opinion publique avait exagéré la différence de vues entre les cabinets suédois et norvégien; on avait dû observer dans l’exposé de motifs la plus attentive discrétion, afin de n’inquiéter aucun des cabinets de l’Europe; mais les fonds votés seraient consacrés tout au moins à compléter et à perfectionner le matériel de la flotte et de l’armée. — Pour ce qui était du reste, le roi se flattait de l’espérance que « l’attitude qu’il ferait tenir à la Suède au milieu des complications prochaines serait trouvée entièrement conforme aux intérêts et aux sympathies de la nation. » Tel fut le récit fait par M. Brinck le 5 novembre 1854, dans une salle de la bourse, en présence de ses collègues de la bourgeoisie, et qui décida le vote en faveur du crédit demandé.

Un mois environ après ce curieux épisode, à l’époque même de la clôture de la diète, qui est, comme on sait, triennale, on lisait dans un journal quelques détails sur une communication faite par le roi au comité secret de la diète, communication où sa majesté déclarait que, «forcée de renoncer à la politique de neutralité, elle s’engagerait contre, jamais pour la Russie[1]. » Nous savons bien ce qu’il

  1. Le Söndagsblad, fort répandu parmi les classes inférieures, démagogique naguère, mais qui depuis quelque temps insérait au contraire des articles dont le ton et l’allure semblaient trahir des inspirations sinon officielles, tout au moins officieuses. Voici du reste le passage textuel : « Mercredi dernier, 29 novembre, le comité secret de la diète, avant d’être dissous par le roi, a reçu de lui une communication fort importante; sa majesté a dit, assure-on, que, satisfaite de la neutralité conservée jusqu’à présent par la Suède dans le débat des grandes nations, elle ne croyait pourtant pas que cette situation fût durable. Elle avait donc, dans le cas où la paix ne serait pas bientôt conclue, pris irrévocablement son parti, celui de se déclarer pour les puissances occidentales, parti le plus conforme sans doute aux intérêts de la nation, et le seul d’accord avec les souvenirs, avec l’honneur de sa majesté. Il était probable qu’une diète extraordinaire serait convoquée dès le commencement de la prochaine année; mais les députés du pays devaient être assurés à l’avance que ni le roi ni son ministère ne viendraient y exprimer aucune sympathie russe. Forcée de renoncer à la politique de neutralité, sa majesté s’engagerait contre, jamais pour la Russie; les députés des quatre ordres pouvaient transmettre cette ferme assurance à leurs commettans, et l’opposer au langage des hommes qui avaient tenté de rendre suspecte la politique du gouvernement, bien que les circonstances n’en eussent pas jusqu’alors permis d’autre. »