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à distinguer certaines textures communes correspondant à certaines propriétés communes aussi.

En effet, c’est uniquement par une vue de l’esprit et pour la facilité de l’étude que l’on sépare l’anatomie de la physiologie, l’état inactif et immobile de l’état mobile et actif. Embrasser simultanément le tissu et sa propriété est ce qui distingue toute spéculation positive de toute spéculation métaphysique ou de toute spéculation physique et chimique sur la biologie. Quand on ne considère que les propriétés ou facultés sans considérer la texture, on laisse une part du phénomène réel, part qui le limite, le resserre, et le rattache à ses conditions immanentes. Quand au contraire on ne voit que la texture et qu’on ne la rapporte pas à ses propriétés, qui sont spéciales, on rétrécit le champ, on abaisse la recherche, et, faisant qu’elle ne porte plus sur le fait total, on ramène une question de vitalité à une question d’électricité ou d’affinité, et cela sans profit, puisque c’est appliquer à la serrure une clé qui ne l’ouvre pas. Mais, remarquez-le bien, la conception des propriétés de tissu, qui est si profonde parce qu’elle est si réelle, ne se rapporte aucunement à ce qu’on appelle usage d’un organe ; elle est d’un ordre bien plus relevé. Ainsi le cœur a pour usage de lancer le sang dans les vaisseaux, et cet usage, pour peu qu’il survienne quelque désordre dans la disposition du viscère, éprouve une perturbation correspondante ; si quelqu’une des valvules qui ouvrent et ferment les orifices cardiaques est lésée, il y aura trouble dans la circulation, changement dans l’impulsion, altération des bruits qui se produisent dans ce qu’on nomme les battemens du cœur. Ce sont là des rapports manifestes et constans entre l’organe et l’usage ; il n’en faut pas moins se garder de confondre cet usage (et tout organe à un usage) avec les propriétés primordiales des tissus. Chaque organe remplit des usages spéciaux, mais il les remplit en vertu de ces propriétés mêmes, qui lui sont inhérentes par l’intermédiaire des tissus qui le composent.

Ayant ainsi touché les fondemens de l’anatomie générale, qui reposent sur une certaine manière de comparer, on peut revenir au mode de comparaison qu’Aristote avait institué de si bonne heure. On ne confondra pas ces deux modes, car ils sont essentiellement différens, et au philosophe grec dont le génie a entrevu le premier, le second était interdit par la nature des choses et par l’évolution historique. De même que, voulant écrire son traité de politique, il rassembla toutes les constitutions à lui connues, afin de donner une base expérimentale à ses aperçus, de même, voulant spéculer sur la structure des animaux, il rapprocha les descriptions des parties semblables. Dire comment il s’arrêta dans le chemin de la biologie, c’est dire comment il s’arrêta aussi dans le chemin de l’histoire et